Que s’est-il passé au cours des trois dernières décennies ?
Anne de Tinguy porte son étude sur la période comprise entre la sortie de la Russie de l’URSS, en 1990, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine.
En novembre 1990, l’institution paneuropéenne avait scellé la réconciliation entre l’Est et l’Ouest du Vieux Continent. Boris Eltsine annonçait faire de la Russie une puissance démocratique avec les États occidentaux, ses vrais amis. Depuis quelques années, le discours était bien différent et la brutalité avec laquelle la Russie a envahi l’Ukraine achève de saper l’idée de valeurs communes.
Que s’est-il passé au cours des trois décennies qui ont suivi la fin de la Guerre froide et la fin de l’Empire soviétique pour qu’une telle décision soit prise ? Quels sont les objectifs, les priorités de la Russie poutinienne ? C’est pour répondre à ces questions que l’auteure s’est penchée sur les évolutions internes du pays, sur ses relations avec le monde extérieur.
Les rapports avec le monde extérieur à la Russie fait partie des thèmes qui donnent lieu, depuis longtemps, à des opinions très discordantes. Il y a toujours cette ambition de puissance séculaire et le rêve d’une Grande Russie alors qu’elle n’est, depuis des siècles, qu’une “puissance pauvre”. Elle est toujours fragilisée par une indétermination entre des ressources énormes mal utilisées et un gaspillage pour une course à l’armement.
Il y a, ancrée, cette volonté de jouer avec les grands, de rivaliser avec les États-Unis et la Chine sans avoir d’autres moyens que les armes. Qu’est devenu ce pays ? Est-ce une puissance en déclin, un État voyou sans foi ni loi, une menace pour le reste du monde ?
Dans une première partie Anne de Tinguy explore l’ambition de puissance et de grandeur dans l’histoire de la Russie tsariste, puis celle de l’URSS. Dans une seconde, elle détaille les outils mobilisés par le Kremlin, sa stratégie d’influence en dégageant les effets des choix qui ont été retenus.
Intitulée Une puissance paradoxale, cette première partie décrit les empires des tsars, des bolcheviks. Ces derniers ont installé avec leur régime « démocratique » des alliances sur tous les continents pour devenir, dans un ordre mondial bipolaire, la seconde puissance.
Or, l’étude des sources de la puissance soviétique amène naturellement à ses limites que l’historienne met en lumière. Puis elle explicite le grand dessein de Gorbatchev, l’effondrement du pays, une métamorphose au prix fort sous Eltsine jusqu’à l’obsession de grandeur de Poutine.
Dans la seconde partie, elle explore les tenants et les aboutissants de cette ambition qui domine depuis des siècles les relations extérieures et tente de comprendre comment cette ambition a débouché sur l’invasion d’un État souverain. Elle analyse les moyens utilisés par les dirigeants avec un bilan contrasté, un retour du facteur militaire et de la menace des armes. L’économie reste le point faible malgré toutes les richesses. Les actions diplomatiques vis-à-vis de certains pays trouvent vite des limites.
L’auteure livre un document exhaustif sur ces dernières années de la Russie, les analysant au mieux pour tenter de comprendre comment de telles potentialités amènent à être connue comme une puissance pauvre et mieux saisir la réflexion de Churchill, au seuil de la Seconde Guerre mondiale : “Son action est un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme.”
serge perraud
Anne de Tinguy, Le Géant empêtré — La Russie et le monde de la fin de l’URSS à l’invasion de l’Ukraine, Perrin, septembre 2022, 496 p. — 26,00 €.