Nina Almberg, Pour Suzanne

Paren­tèle

Dans le deuxième récit de Nina Alm­berg (née en 1988, diplô­mée d’un mas­ter en his­toire contem­po­raine — Sciences Po Paris -, réa­li­sa­trice de repor­tages et de docu­men­taires notam­ment pour Arte radio, France Culture et la RTS), trois géné­ra­tions se retrouvent dans le sud de la France.
Le pay­sage est plu­tôt laid, défi­guré par des « 
dizaines d’autres vil­las sem­blables, cha­cune sépa­rée par une haie minu­tieu­se­ment taillée ou un haut mur en fausses pierres. Elles ont toutes été construites dans les années 1960 en lieu et place d’une forêt de chênes verts pour per­mettre à cha­cun d’accéder au rêve péri­ur­bain et pavillon­naire typique de la seconde moi­tié du XXe siècle, avec le chant des cigales en prime ».

Par les yeux d’une fillette, Léa, nous fai­sons connais­sance avec sa mère, Flo­rence, sa grand-mère, Suzanne, éton­nantes et repé­rables dans une société pro­vin­ciale confor­miste.
Tan­tôt géné­reux, tan­tôt recro­que­villé sur un mode de vie un peu étri­qué, l’entourage fémi­nin de Léa offre un carac­tère par­fois « cynique et nihi­liste ». La ques­tion qui taraude la jeune fille repose sur la filia­tion exacte de l’homme le plus âgé de la famille : « Grand-père, c’est vrai­ment ton père ? » — ques­tion qu’elle sou­met à Flo­rence, Suzanne et à Éliane, la tante réfractaire.

À la manière d’une enquête d’investigation, Léa revient à la charge pour per­cer ce dou­lou­reux secret de famille. La répé­ti­tion du verbe savoir, « Éliane sait aussi que je sais qu’elle sait », frappe comme les trois coups de théâtre. De beaux mor­ceaux jalonnent le texte : « Les mou­lures qui forment des rosaces au pla­fond, les boi­se­ries autour de la che­mi­née, l’alcôve de la biblio­thèque : je n’avais jamais vu à quel point son appar­te­ment était beau sous sa couche de crasse car, chaque fois que je suis venue, je suis res­tée dans la cui­sine en forme de boyau ».
En effet, les confron­ta­tions fami­liales se déroulent soit à Antibes, ce coin de l’hexagone enso­leillé, peu­plé de retrai­tés ou à Paris.

Or, Léa est désta­bi­li­sée mais pug­nace dans sa quête d’authenticité, de vérité et de construc­tion de soi. Sa situa­tion res­semble à celle du Déca­logue IV du magni­fique film de Krzysz­tof Kieś­lowski, lorsqu’une jeune fille et son père découvrent qu’ils n’ont pro­ba­ble­ment aucun lien de parenté et réa­lisent qu’ils doivent redé­cou­vrir les sen­ti­ments qui les relient vrai­ment.
Au-delà du « 
gouffre géné­ra­tion­nel », l’odyssée paren­tale repré­sente la tranche nar­ra­tive la plus exploi­tée car consti­tu­tive de soi, per­son­nelle et néan­moins celle qui se par­tage le plus. Ce « quelque chose [d’]infor­mulé, inté­rio­risé, inau­dible, gommé, raturé, biffé », la jeune Léa y est éga­le­ment mise en pré­sence par ses études d’archéologie. Les énigmes à résoudre, les secrets et les non-dits ont une tra­ça­bi­lité com­pli­quée aussi bien dans l’étude des ves­tiges que dans celle de la généa­lo­gie familiale.

Le sor­dide côtoie la réus­site artis­tique et le ton employé par l’auteure fait pen­ser à un scé­na­rio de télé­film. Nina Alm­berg a choisi un thème tabou, qui éclate au grand jour, un abcès puru­lent enfoui dans la chair.
Elle men­tionne notam­ment l’« 
éner­gie viri­liste » attri­buée à l’artiste, le machisme latent des Fran­çais, la seconde guerre mon­diale, la guerre d’Algérie, et bien sûr la condi­tion fémi­nine qui n’a pas laissé de traces, l’exploitation sexuelle et éco­no­mique subie.

En somme, c’est la tapis­se­rie du bon­heur détricotée.

yas­mina mahdi  

Nina Alm­berg, Pour Suzanne, éd. Hors d’atteinte, jan­vier 2023 — 19,00 €.

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