Paul Fournel : le chef d’oeuvre inconnu
Paul Fournel depuis toujours s’amuse et nous amuse. Sous prétexte de ne pas prendre (trop) au sérieux la fiction, il la tord pour l’emmener en bien des chemins de traverse. Ils surprennent autant ses lecteurs que ses propres personnages. Les deux se retrouvent loin des habituelles rodomontades. Pour preuve sa dernière farce : sous prétexte que les passionnés de la Beat Generation connaissent les poèmes de Jason Murphy, l’auteur reprend la rumeur selon laquelle, bien avant le Sur la Route de Kerouac, le poète américain aurait composé un roman lui aussi sur un rouleau de papier. Dans ce roman, un éditeur et une étudiante traversent l’Atlantique à la recherche de ce « scroll » du côté de San Francisco. La course est engagée. Mais elle est secondaire. Elle se transforme pour plonger vers d’autres énigmes : la recherche sur la révolte d’un homme, son statut au milieu de ses pairs et surtout sur une quête identitaire. Elle dépasse le cadre de la Beat Generation comme le prouve le début — qui semble bien étrange — du livre. Mais plus il avance, plus les doutes s’épaississent au sujet des mythes de la littérature et de son sens.
Résoudre l’énigme précise d’une période littéraire, ce serait pour Fournel la rétrécir, l’enfermer dans un logis, la dégager de sa pression initiale et en perdre les grains, les fruits, leurs sèves. Plutôt qu’évoquer, concrétiser et matérialiser ce qui est devenu, par delà une époque, une tradition et un mythe, l’auteur laisse flotter le tout dans une écriture limpide au timbre clair là où pourtant tout n’est que brume — et pas seulement celle qui recouvre souvent la baie de San Francisco.
Divergences, convergences : écrire pour Fournel revient à ne pas offrir un foyer unique mais un éclatement. C’est joindre à sa fiction des plaisirs du texte inconnu qui de fait se lit dans celui de l’auteur. Il ne double aucunement l’apocryphe mais, en absence de motif unitaire, le romancier invente une machinerie fictionnelle aussi preste et drôle qu’en bourrasques.
L’œuvre de Murphy devient peu à peu l’air d’une jeunesse non épuisée. L’écriture de Fournel glisse sur elle pour offrir une « chose » qui n’est plus seulement d’un temps passé mais celui de la terre où les importuns (ou non) chercheurs plus dériveurs que voyageurs revivent ou vivent enfin. Des décennies après la possible existence d’un roman éternel objet d’obsession (mais ce n’est pas le seul), les protagonistes comme les lecteurs trouvent la majestueuse « apparition » que sa réalité ne pourrait offrir.
jean-paul gavard-perret
Paul Fournel, Jason Murphy, P.O.L. éditions, Paris, 2013, 192 p. — 16,00 €
Merci à Jean-Paul Gavard-Perret pour ce joli papier (sans papier)