Paul Graham multiplie les voyages entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis avec la volonté de se colleter sans concession avec la complexité du réel.
Cette méthode qui privilégie la pluralité des mondes et des perspectives crée de fait – par delà les différences géographiques – un questionnement constant sur les possibilités et les pouvoirs de la photographie et de ce qu’elle narre.
Contrairement à beaucoup de créateurs stériles, Graham ne cherche pas à brouiller les pistes. Ses travaux sont inscrits dans le réel. L’artiste en perçoit la complexité et l’ambigüité tout en réduisant ses prises à des faits objectifs, vérifiables énoncés de manière univoque.
Il fait donc bien plus que de jouer sur la dichotomie documentaire et fiction. L’œuvre s’organise en dépassant tout moralisme comme tout penchant pour l’« art pour l’art ». Il réduit au passé la fameuse distinction de Godard entre « image juste » et « juste une image ».
L’œuvre cultive de fait l’anabase – notion qui désigne une forme de déplacement circulaire. A la fois errance vers le nouveau et retour vers chez soi, cette figure chez Graham crée une œuvre d’une double ambigüité, temporelle et géographique qui se double elle-même entre l’immuable et le passager.
Dans de telles photographies de sommeil et de crépuscule, l’artiste suggère toujours un inachèvement du monde. Inachèvement programmé selon une perfection formelle en quête d’une impossible clarté.
jean-paul gavard-perret
Paul Graham, Does Yellow Run Forever ?, Mack (Londres), non paginé, 2022 — 35,00 €.