Loin des contraintes naturalistes, Ballen ouvre le ventre du monde pour en faire jaillir des monstres du quotidien. Ils sont néanmoins sublimés par un dispositif continuel d’hybridation de beau et du laid.
Le charme opère là où l’héroïne et autres substances illicites semblent être d’incontrôlables maîtresses.
La figuration est aussi monstrueuse que voluptueuse ou dolente. Les cadrages et la lumière créent des images ambiguës, déconcertantes qui plongent le regardeur vers une série d’interrogation. Roger Ballen ne cherche pas à divertir par le spectacle de l’horreur mais à glisser le voyeur au cœur du monde où les forces du mal plus ou moins inconscientes s’incarnent et plombent leurs victimes.
Restent une cruauté contre le supplice, une ivresse contre le rêve. La force du photographe est de faire passer ces messages comme une lettre à la poste. L’art n’est plus l’infirmier impeccable d’identités conformiste. Aragne à multiples “pattes”, il travaille le regard afin que son imagination tente d’imaginer encore là où surgit un impensable.
De tells prises immolent, plongent dans des impasses. Rien ne semble pouvoir être sauvé. Nous sommes à la porte des enfers : plus besoin d’y frapper. Ils s’ouvrent sous nos yeux.
Ballen nourrit en nous quelque chose que l’on ne connaît pas encore et qu’on voudrait ignorer.
jean-paul gavard-perret
Jean-Paul Gavard-Perret & Roger Ballen, Roger Ballen, Préface de Dominique Eddé , Photo-Poche, Paris, 2012, 144 p.