Avec Jean, le narrateur, c’est toute une chronique familiale qui défile sous les yeux des lecteurs. Ce sont les rapports entre les membres de la fratrie, avec leurs propres enfants et ceux de leur frère et sœur. Ce sont les souvenirs d’enfance, d’adolescence. Le père est violent avec Serge. Il n’a rien à dire à un Jean transparent. Il considère Anne comme une princesse.
La romancière ne fait pas de Serge, le personnage central, un chevalier blanc. Elle le dépeint petit, pataud, gros et grossier, égoïste, râleur et hypocondriaque. Ce sont les rencontres, les initiatives plus ou moins heureuses prises sans concertation. C’est également le poids de l’appartenance à un peuple. Autant le père était juif, ne voyant le salut qu’en Israël, autant la mère, suivant l’exemple de ses parents, avait gommé cette judaïté et ne voulait pas la transmettre à ses enfants.
Jean Popper aime s’occuper de Luc, le fils de Marion. C’est pour cela qu’il garde un lien avec elle malgré leur rupture.
Jean est le fils cadet d’Edgar et Marta, un couple juif. Il est entouré par Serge, son aîné de deux ans, et par Anne, sa jeune sœur. Jean se définit comme un suiveur face à Serge qui est un meneur d’hommes, un risque-tout, mais le roi des entreprises nébuleuses.
Jean vit seul. Serge partageait la vie de Valentina qui vient de le mettre dehors parce qu’il l’a trompée. Anne, appelée Nana, vit avec Ramos, un Espagnol, avec qui elle a eu deux enfants, Victor, étudiant en cuisine et Margot. Serge a eu une fille, Joséphine, avec Carole, sa première épouse.
Cette chronique familiale commence avec l’installation d’un lit médicalisé pour leur mère. Quittant le vieux lit conjugal, elle meurt en fin de journée. Ce sont les différentes étapes de son inhumation. Elle ne veut pas être avec son mari chez les juifs.
Serge est petit et gros. Valentina le pousse à aller en Suisse faire une cure. Au bout de quatre jours, il pète les plombs et arrête son régime dans un esclandre.
C’est Joséphine qui décide d’aller à Auschwitz, fouler la tombe de ses grands-parents juifs hongrois, avec son père sa tante et son oncle…
Le voyage sur les traces des ancêtres n’est pas de tout repos. Cette fratrie s’aime certes, mais se chamaille. Il ne faut pas grand-chose pour que ressortent les petites rancunes, les griefs mal digérés, qui amènent des disputes impressionnantes.
C’est drôle, c’est vif, le récit est enlevé, parfois cruel, voire grinçant. Ainsi les remarques sont à la fois humoristiques et terribles comme quand Joséphine remarque que sa grand-mère a choisi d’être incinérée : “L’idée d’être cramée avec ce que sa famille a vécu, c’est dingue. ”
Mais c’est le quotidien d’une famille marquée par les générations précédentes, par l’appartenance à un peuple.Les dialogues sont pétillants. Les caractères des personnages sont fouillés, fruits d’une belle recherche psychologique, avec un attachement aux valeurs familiales.
Avec ce nouveau roman, Yasmina Reza propose une belle histoire contemporaine où se retrouvent nombre de situations d’un quotidien magnifié par son talent de narratrice.
serge perraud
Yasmina Reza, Serge, Folio n° 7121, coll. “Littérature française, Romans et récits”, septembre 2022, 256 p. — 7,80 €.