Chantal Montellier publie là un petit bijou, mi-recueil de nouvelles à teneur sociologique, mi-uppercut graphique
Qui n’a pas un jour pris le train et pesté intérieurement contre cet autre, celui ou celle dont une exclamation ou une conversation l’a tiré d’une rêverie ou d’un livre ? Qui n’a pas détaillé ses compagnons de voyage, bercé par le rythme des rails défilant, et été tenté de croquer un être pour son physique atypique ou son allure incroyable ? Qui encore n’a pas souri au passage d’un tout-petit endormi puis soupiré à cause de ses cris ? Ces moments-là, on a tendance à les supporter et les oublier. Chantal Montellier, quant à elle, leur a trouvé un relief particulier et nous les présente dans un ouvrage élégant, préfacé par un Jean-Bernard Pouy conquis. Des notes prises sur le vif de conversations volées, des fragments de vies, des croquis devenus tableaux se mêlent, ainsi que les réactions personnelles de l’auteur venant poursuivre un échange, imaginant une suite possible, une fin tragique comme on en voit seulement dans les films. Ces instantanés sont autant de témoignages du quotidien. Et le quotidien, justement, prend de temps à autre des tournures incroyables. Ainsi, l’auteur fait partager son indignation quand une discussion dérape et révèle l’intolérance, le racisme ou l’homophobie d’une population tirée à quatre épingles. Elle nous offre ailleurs un moment de joie, lorsqu’on assiste à travers son regard perçant à un bien curieux ballet entre adolescents aux mœurs légères. Ou encore ses réflexions sur ces nouveaux habitants des gares, ces sans domicile fixe qui hantent les salles des pas perdus, à la recherche d’une compagnie et d’un peu de chaleur humaine, en plus de celle du vin. On se perd ainsi avec délectation dans ces vingt-six contes contemporains qui n’en sont pas. On imagine les scènes pour les avoir vécues soi-même… celles-ci ou d’autres, elles se ressemblent toutes sans être pour autant similaires… On se prend à rêvasser au sortir de l’une des nouvelles, espérant une adaptation théâtrale qui lui rendrait grâce. Et on découvre page à page un ouvrage qui de superflu devient indispensable car révélateur d’une société malade jusque dans les déplacements de ses membres.
À l’évidence, Chantal Montellier n’a pas composé ce livre sans y mettre une part d’elle-même, de cette révolte frémissante et sous-jacente soudainement exposée au grand jour, utilisant une petite phrase, ces quelques mots de trop, insupportables, pour mieux souligner son désaccord. On croit à une oeuvre de fiction, on voudrait se raccrocher à cette idée…
On apprécie la rythmique particulière des descriptions, les tournures lapidaires pour brosser à traits fins et concis le portrait de ces anonymes. Goûtons plutôt :
Un vieux monsieur entre dans le compartiment. Casquette à visière bordée bleu horizon. Chemise blanche impeccable. (Que faisait-il en 43 ?).
Tout est dit, l’esquisse est dans les mots. Les illustrations, dans le style graphique et cru qu’on leur connaît, sont là pour mettre en exergue un détail, ce point que l’on fixe car on est gêné et que l’on ne veut pas voir la scène. Refuser d’y assister, ne pas en être le témoin. Et encore une fois, tout est politique. Autant dire que le sujet est en or pour Chantal Montellier. Elle montre justement ces étalages d’opinions se poursuivant au café de la gare, devant les buffets froids, fustigeant tout ce qui sort d’une “normalité” bien définie. On se lance des oeillades de connivence, on se reconnaît, entre bien-pensants. Pensez-vous ! La réalité devient écœurante. À croire qu’il suffit de mettre une poignée d’humains dans un lieu clos, de laisser mariner deux heures… pour se réveiller dans un univers absurde !
C’est bien là le moindre constat que l’on puisse faire d’ailleurs. Incrédule, on reprend en main l’objet révélateur pour l’examiner sous toutes ses coutures : quel étrange pouvoir a donc ce livre à la couverture blanche et bleue, à l’allure soignée, à la maquette délicate ? On touche le papier : il est lisse et mat, rien n’accroche… Est-ce encore une manière d’illustrer le propos ? On pourrait être tenté de le croire : les ouvrages de la collection “Traverses” n’obéissent pas à des règles fixes. C’est le contenant qui s’adapte au contenu pour mieux le servir, et pas l’inverse. Difficile d’avoir une belle bibliothèque dans ces conditions. Pourtant le choix est juste, il est celui de l’amoureux du livre. Car l’objet ne livre-t-il pas un message ? Arrêtons là, soulignons seulement la démarche effrontée de ces éditeurs qui ont pour nom Les Impressions Nouvelles, et revenons à nos moutons et à leur contemplatrice.
On sort donc sonné de lectures fragmentées par le découpage en nouvelles, épuisé par tant de haine quotidienne, tant de refus de tolérer “l’autre”. Alors, on prend la plume à son tour pour conseiller ce pamphlet à des inconnus, à vous lecteurs, pour qu’à votre tour vous puissiez en prendre connaissance et le prêter à vos proches ou l’abandonner sur le siège d’une salle d’attente, dans la gare la plus proche de chez vous… avec l’espoir narquois qu’il sera ramassé par l’un de ces haineux banalisés, provoquant chez lui un sursaut salutaire. Ou encore pour que, simplement, vous sachiez qu’il existe un tel livre et qu’un jour vous l’ouvriez.
Parfois, il arrive que se produise une rencontre improbable dont on ressort lessivé mais comblé. En voici une. Merci Madame Montellier, de savoir en quelques traits fixer ces comportements inadmissibles tout en conservant le respect de la personne. Paradoxalement, vous nous rendez une part de notre humanité. En refermant votre oeuvre, on se dit alors que le combat ne fait que commencer, et l’on se retrouve à siffloter un petit refrain à notre sauce, sur l’air de l’Internationale bien sûr !
Battons-nous et soudain,
un coup magistral,
fera de nous des frères, demain !
anabel delage
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Chantal Montellier, TGV Conversations ferroviaires, Les Impressions Nouvelles coll. “Traverse”, 2005, 157 p. — 18,00 €. |
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