On a toujours présenté les chiffres comme des outils de données objectives. Avec ceux-ci, on a le sentiment d’identifier de façon concrète l’importance d’un événement, d’une situation… Et pourtant !
La première manipulation recensée dans l’Histoire est celle initiée par Pythagore, celui dont le nom est associé à un célèbre théorème dont il n’est pas le découvreur. C’est un homme avide de pouvoir et il organise une manipulation de la population de Crotone.
Platon, un de ses élèves, n’est pas en reste avec l’usage opportun de calculer, selon le besoin, une moyenne arithmétique ou géométrique aux résultats différents.
Les auteurs remontent le temps et présentent des théoriciens, des mathématiciens qui, pour des raisons politiques, vont manipuler des chiffres, les tordre pour leur faire dire ce que le pouvoir souhaite.
Un des précurseurs en la matière est Jean Bodin (1530– 1596) qui va inventer la première statistique d’État telle que nous la connaissons à travers, par exemple, les recensements de l’INSEE.
William Pretty, un esprit universel, rédige un ouvrage sobrement intitulé Arithmétique politique et entreprend de tout compter en Angleterre. Mais les résultats se révèlent erronés. Les approximations proviennent du fait qu’il tourne le dos au réel pour ne considérer que les nombres. Il est le premier mais pas le dernier (hélas !).
Les pourcentages, si souvent mis en avant, amènent à un usage couramment erroné, falsificateur, de manière volontairement ou non, car ce ne sont que des rapports. En effet, un pourcentage ne mesure que le rapport d’une partie à un ensemble donné. Il n’est en rien un nombre existant dans l’absolu. Il convient de ne pas manipuler comme tel.
Les auteurs prennent des exemples révélateurs sur les résultats d’élections, de comparaisons de ceux-ci avec ces pourcentages mis en avant par les partis mais qui cachent le nombre limité d’électeurs. Ces pourcentages nourrissent des statistiques qui servent des études pseudo-scientifiques qui débouchent sur d’énormes tromperies comme le taux limité de cholestérol ou la vaccination d’enfants.
On retrouve quelques personnages célèbres par l’utilisation de chiffres trompeurs pour appâter les gogos. L’inventeur de génie (maléfique), dans ce domaine, est Charles Ponzi qui fit fortune en un éclair et suscita nombre de vocations. La plus récente étant celle du charismatique Bernard Madoff.
Mais, ils citent également quelques mathématiciens dont les découvertes devaient amener une amélioration dans le quotidien de l’humain, mais qui ont été dévoyées plus tard par des individus malfaisants.
Les auteurs donnent quelques exemples de manipulations autres qu’avec des chiffres comme, par exemple, le Dilemme du prisonnier ou Golden Balls, un jeu qui a fait fureur au Royaume-Uni entre 2007 et 2009.
Ainsi, Antoine Houlou-Garcia & Thierry Maugenest décortiquent une très large gamme de manipulations opérées par des gouvernants, des individus avides de richesse, des escrocs, des financiers malhonnêtes, des boursicoteurs et autres spéculateurs. Ils démontrent, exemples à l’appui, comment des théorèmes, des équations, des nombres ont servi à justifier de la nécessité d’une guerre, de l’emploi de la bombe atomique, d’un impôt injuste, de légitimer des politiques autoritaires, de faire condamner à tort, de promouvoir des produits sur des bases statistiques fausses.
Ce livre est d’une remarquable richesse, d’une belle érudition par des auteurs qui connaissent leur sujet à la perfection.
serge perraud
Antoine Houlou-Garcia & Thierry Maugenest, Une histoire de la manipulation par les chiffres de l’Antiquité à nos jours ou le Théorème d’Hypocrite, J’Ai Lu n°13 585, septembre 2022, 288 p. — 8,50 €.