Une épopée devenue incontournable !
François Bourgeon va suivre les pas de son héroïne de 1870 à 1891, lui faire vivre l’horreur qui termine la Commune et le long voyage vers les îles de Nouvelle-Calédonie. Il entoure cette jeune femme des principaux protagonistes de cette période dans les lieux où elle se trouve.
Il met en scène Louise Michel et Nathalie Lemel, des figures de l’action révolutionnaire. Connaissant le souci du détail de l’auteur, on peut apprécier le traitement qu’il fait tant des lieux, des moyens de transports que des situations et des personnages qui en ont été les acteurs.
Zabo est l’arrière-petite-fille d’Isa, cette femme avec qui toute la saga a commencé (La Fille sous la dunette — 1979). Elle a quarante ans et, depuis 1885, elle vit à Paris. Dans l’épisode précédent, elle a pris une défense très musclée de Klervi, une jeune bretonne tombée sous l’emprise d’un souteneur.
Pour la mettre à l’abri, elle décide de l’emmener en Bretagne. Dans le train, pendant le voyage, Zabo lui raconte ses combats, la Commune, la déportation.
Elle débute son récit par son retour de Louisiane où elle a vendu tous les biens hérités d’Isa pour suivre Quentin, d’abord en Angleterre puis en France en août 1866. Ils logent quelques temps chez Nadar avant de s’installer Chaussée des Martyrs. Son jeune frère Nano part réaliser son rêve de navigation.
Et, c’est la défaite de 1870, Badinguet est prisonnier, Bazaine assiégé dans Metz. Dans Paris encerclé par les Prussiens, la Commune voit le jour. C’est une intense période qui ne va durer que 72 jours dont les derniers verront un bain de sang : la Semaine sanglante.
Si Zabo reste en retrait pour s’occuper de sa fille qui vient de naître, Quentin s’investit dans cette révolution sociale.
Et parce qu’elle tente de cacher un soldat blessé, sa fille est tuée, elle est violée et passe en conseil de guerre. Le jugement tombe, c’est la déportation…
Sans décrire les différents événements qui ont fait la Commune, sans en citer tous les acteurs, l’auteur en fait un fil rouge qui a marqué durablement son héroïne. Celle-ci a perdu sa petite fille, son compagnon, a été violée et est condamnée au bagne.
François Bourgeon montre comment les pouvoirs ont voulu occulter la terrible répression, cette Semaine sanglante. Quand elle est citée, elle n’occupe que quelques lignes dans les livres d’histoire. Les quelques morts (il y en a toujours trop) exécutés par les Communards ont leur sanctuaire avec le Sacré Cœur de Montmartre.
Il traque les anecdotes. En 1891, en France, une “fille en cheveux” était méprisée, les femmes devaient couvrir leur chevelure. Il évoque la prévention des Parisiens vis-à-vis des Bretons. L’auteur prend pour titre une variation du Temps de cerises, une chanson de Clément, devenue un porte-étendard de la Commune.
Ce récit, enrichi par mille détails, est fascinant, porté par un graphisme d’une qualité exceptionnelle. Il met en valeur les visages, travaille les expressions, livre des décors le plus authentiques possibles, travaille les angles de vues, les ombres. Rien n’est laissé à l’approximation.
Un cycle d’exception, une page d’histoire, celle qui ne se raconte pas dans les livres officiels, mais qui est celle vécue par des milliers de gens qui composent le Peuple, cet éternel oublié. Ce peuple constitué de tant d’individualités qui méritent le regard autant que ces politicards véreux, ces erreurs humaines mises à l’avant-scène.
serge perraud
François Bourgeon (scénario, dessin, couleur), Le Sang des cerises — Livre 2 : Rue des Martyrs, Delcourt coll. “Hors Collection “, Novembre 2022, 128 p. — 23,95 €.