José-Luis Munuera, d’après Charles Dickens, chant de Noël — Une histoire de fantômes

Une adap­ta­tion har­die du célé­bris­sime conte

Si Charles Dickens, en 1843, met­tait en scène le vieil Ebe­ne­zer Scrooge, c’est qu’il n’était pas pen­sable qu’une femme exerce ouver­te­ment l’activité d’usurière, qu’elle puisse être ambi­tieuse et qu’elle soit l’héroïne libre d’une his­toire.
Certes, des conteurs comme Charles Per­rault avait bien des Cen­drillon et autres Peau-d’âne mais elles n’assumaient pas une totale indé­pen­dance, voyant venir avec inté­rêt le Prince qui les fera vivre heu­reuses long­temps, avec beau­coup d’enfants.

Avec Eli­za­beth Scrooge, José-Luis Munuera impose une femme qui tient les rênes de sa des­ti­née, qui n’a besoin d’aide que… pour faire cuire une dinde. Si l’adaptation reprend la trame géné­rale du conte, celle-ci prend nombre de liber­tés pour impo­ser une per­sonne au carac­tère trempé, aux opi­nions solides qui ne s’en laisse pas conter, n’hésitant pas à trai­ter Dieu de dément.

Dans Londres, ce 24 décembre 1843, une femme au port altier se rend à son offi­cine. Face aux demandes d’aumônes de bigots pour les pauvres, en ce jour pré­cis, elle oppose des argu­ments frap­pants quant à l’existence de ces mal­heu­reux et à leur repro­duc­tion.
En arri­vant à son bureau, elle rabroue son employé qui lui a sou­haité un joyeux Noël. Elle refuse l’invitation de sa nièce à venir dîner et par­ta­ger la dinde avec son mari et ses enfants.
Elle rentre seule et reçoit la visite du spectre de Jacob Mar­ley, son asso­cié mort depuis sept ans. Celui-ci geint, se plaint des tor­tures qu’il subit, des remords qui le rongent. Il lui annonce l’arrivée de trois esprits et l’enjoint à bien les écou­ter pour ne pas connaître, après sa mort, le même sort. Mais il en faut plus pour impres­sion­ner Elizabeth…

Les choix rete­nus par l’auteur com­plet qu’est José-Luis Munuera, sont modernes et bien­ve­nus pour don­ner de belles touches d’originalité à ce récit très connu. Il signe une adap­ta­tion per­ti­nente, tota­le­ment cohé­rente et fort réus­sie. Il pro­pose une femme qui assume son sta­tut, ses choix de vie, son carac­tère, ne vou­lant n’être ni sou­mise, ni sainte, mais ambi­tieuse.
Si elle admet être la méchante de l’histoire, elle s’insurge contre ce Sau­veur, pour­tant fêté avec tant de dévo­tions chaque année, qui est un vrai dément en lais­sant mou­rir le petit Tim, le der­nier enfant de son employé.

La mise en images est épous­tou­flante. L’auteur pro­pose des per­son­nages guille­rets, dyna­miques, dans l’air du temps, des décors pré­cis comme des pho­to­gra­phies. Sedyas fait res­sor­tir avec une judi­cieuse palette de cou­leurs l’atmosphère fan­tas­tique des voyages de l’héroïne en com­pa­gnie des esprits.
Une pré­face de Domi­nique Bar­bé­ris et une post­face signée d’Alex Romero com­plètent très agréa­ble­ment le récit par le ton décalé employé.

Ce Chant de Noël est un album d’une grande beauté, d’une belle pré­sen­ta­tion de la part de l’éditeur, d’une grande ori­gi­na­lité dans les pro­pos, d’une belle l’audace dans son trai­te­ment et sublimé par ce gra­phisme “munueralien”.

serge per­raud

José-Luis Munuera (scé­na­rio d’après la nou­velle de Charles Dickens, des­sin), Sedyas (cou­leurs), tra­duit de l’espagnol par Gene­viève Mau­bille, Un chant de Noël — Une his­toire de fan­tômes, Dar­gaud, novembre 2022, 80 p. — 17,00 €.

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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