A tous ceux qui cherchent dans l’écriture une parfaite transparence et un sens absolu, il est conseillé de rester éloigné de l’œuvre de Marie-Laure Dagoit. Son feu résiste toujours à qui veut l’éteindre. Ses territoires ressemblent à une carte oubliée sur laquelle chercher son chemin est inutile. Insolite, cruel ou drôle parfois, joignant le réalisme au pur fantasme mais toujours terriblement humain, le livre de Marie-Laure Dagoit fascine par son propos, son langage et son économie plastique. Dans cette triple et trouble confrontation, le lecteur se retrouve face à ce qu’il redoute et désire : un ordre du monstrueux où la femme est autant mante peu religieuse qui déchire et dévore qu’ amante dévouée. Le tout bien sûr sur le registre du jeu – sans lequel la littérature n’est rien qu’une farce triste chère à Christine Angot, la séductrice des gogos.
La loupe jointe au livre n’est pas inutile. Quoique celui-ci soit lisible sans son artifice, elle permet de s’enfoncer dans l’épaisseur minée d’un texte dont les miasmes semblent surgir de bas recoins. Ici il n’y a pas de soleil. Tout est regardé sous les ombres. Et le propos dérange de ses inlassables attentes et plongées.
Marie-Laure Dagoit se retrouve dans son domaine de prédilection : l’oxymore. La proximité fait le jeu du lointain sitôt que se fait entendre — par la caresse de l’élément d’optique semblable à une larme d’éros — l’assourdissant silence d’un acouphène lancinant.
Gouvernée par un mouvement de descente, de plongée, de miroitement, le livre suggère sous forme de récit autobiographique des silhouettes à la recherche d’un passage, d’un secret sous des surfaces qui sont autant de tunnels. Rivé à sa « larme », le lecteur est entraîné par une curiosité fascinée dans les labyrinthes dressés par la maîtresse des cérémonies. Par ses jeux de répétitions, elle ajoute couches sur couches ses « obscénités ». De l’opacité et par le noir et blanc remonte un espace défendu d’apparition fait d’aveux qui n’en sont pas et d’images rebelles et rétives. Le texte devient un ensemble modulaire : bien des combinaisons sont possibles. Et pour montrer ce qui se cache dessous et dedans.
Le texte désigne à la fois états et postures, bref ce qui n’a pas de nom en français mais que l’allemand désigne sous le nom de « stehen ». Ce qui — n’en doutons pas — ne fait qu’épaissir le mystère et ravir sa créatrice. L’œuvre permet d’imaginer bien des horizons. On cherche leurs traces, leurs indices tout en sachant que leur rencontre est impossible et — bien sûr — leur seuil infranchissable. Mais le plaisir du texte tient à ce nécessaire écart. On compte sur ses gouffres puisqu’avec eux le début n’est jamais fini et jamais n’est close l’histoire
Marie-Laure Dagoit reste à l’écoute des ensevelissements du silence. Ce dernier est peuplé d’occupations et de contraintes où la notion de désir est poussée au paroxysme et à l’exagération programmée. Ce qui est attendu, guetté, espéré est parfois atteint. Mais parfois — voire souvent — tout reste perdu, retiré. L’œuvre possède donc quelque chose de précaire et — paradoxalement — d’une insoutenable douceur là où le réel s’abîme. L’auteur par sa monstration ne donne nulle réponse, nul gain utilisable. D’où l’authenticité d’un tel projet. Y affleure l’écume d’une crudité et de son embellie. Pour ceux qui cherchent un assouvissement sommaire, le texte reste trop chargé de miasmes. Pour qui aime la littérature, c’est un délice. Il fait autant masse que charge et chant. De l’espace « paysager » émane un empire mental . Il renvoie son « objet » à une poésie quasi-plastique. Son étonnante ambiguïté et sa cruelle beauté sont renforcées par un sens du rite comme du rire et une perversité assumée.
jean-paul gavard-perret
Marie-Laure Dagoit, Porno-graphique, livre dépliant accompagné d’une loupe, Editions Derrière la Salle de Bains, Rouen, 2013, 120,00 €.