Le roman de Michael Moorcock dont Jérôme Le Gris propose l’adaptation, écrit dans la plus pure tradition de l’Heroic-Fantasy, est paru en 1969. Harold Wilson était le premier Ministre du Royaume-Uni, patrie du romancier. Celui-ci prend son propre pays comme cadre de son livre. Il dépeint, dans un univers post-apocalyptique, un royaume férocement expansionniste comme il le fut pendant des siècles, mais pour conquérir l’Europe.
Il donne une image conforme à la réputation réelle de l’Angleterre appelée la Perfide Albion depuis l’évêque Bossuet. Ce dernier évoquait alors la bataille d’Azincourt, en 1415, où les Anglais violant tous les codes d’honneur ont massacré les soldats qui s’étaient rendus. Cette réputation s’est confirmée au fil des siècles ne comptant plus les parjures et autres traîtrises.
En cette 86e année de l’Aigle, le duc Dorian Hawkmoon, à la tête de ses troupes lance une contre-offensive contre les soldats grandbretons commandés par le baron Meliadus. Ils reprennent le pont et forcent les ennemis à se réfugier dans les ruines de la cathédrale de Köln. Lorsque Dorian pénètre dans les lieux pour sommer les soldats de se rendre, il voit son père prisonnier, entravé et Meliadus qui menace de le décapiter si ses troupes ne déposent pas les armes. Celui-ci cède pour sauver la vie de son père mais l’odieux Meliadus lui tranche malgré tout la tête au mépris de la parole donnée.
À Dorian prisonnier, on greffe sur le front une pierre noire, un joyau qui retransmet tout ce qu’il voit, et donc tout ce qu’il fait. Comment, avec un tel espion, pourra-t-il, comme il le clame haut et fort, ne jamais servir l’empire grandbreton, tuer tous ceux qui l’ont asservi et venger l’assassinat de son père ?
Meliadus continue son travail de conquête et se trouve chez le comte Airain, dans la cité d’Aigues-Mortes au cœur du duché de Kamarg, pour tenter de signer un traité. Mais le comte…
L’histoire s’inscrit après un cataclysme, dans un monde revenu à une société de type féodal avec une part de technologie steampunk. Après Elric, c’est l’adaptation de l’autre grande saga du romancier, une œuvre très sombre où se mêlent sciences primitives et magie futuriste, une adaptation fort réussie pour en faire ressortir les points les plus intéressants.
Un des intérêts d’un passage en bande dessinée réside dans la minimisation des descriptions de toutes natures, celles-ci étant présentées par les images.
Cette mise en images se partage entre deux grandes pointures du dessin que sont Benoît Dellac et Didier Poli. Les dessins sont réalistes tant pour les personnages que pour des décors. On reconnaît facilement, même si elle est en place inversée, la cathédrale de Cologne bien abîmée, sans doute proche de son état en 1945. Ils signent quelques planches absolument magnifiques avec des décors d’une grande exigence.
Les auteurs donnent à cette adaptation une fort troublante modernité. En effet, on ne peut s’empêcher de faire des comparaisons avec les terribles situations qui se déroulent au cœur de l’Europe avec cette nation aux dirigeants déments.
serge perraud
Jérôme Le Gris (scénario adapté de l’œuvre de Michael Moorcock), Benoît Dellac & Didier Poli (dessin), Bruno Tatti assisté d’Angélina Rodrigues (couleur), Hawkmoon — t.01 : Le Joyau noir, Glénat, coll. “24x32” septembre 2022, 56 p. — 14,95 €.