Collectif, Mémoires de nos mères, Des femmes en exil

Voyages fami­liaux : cap­ti­vant, poi­gnant et éclairant

Cet ouvrage col­lec­tif conçu par Lau­rence Campa repose sur une idée ori­gi­nale : réunir neuf femmes écri­vains dont au moins l’un des parents est d’origine étran­gère pour leur faire racon­ter des sou­ve­nirs de leur mère, mais pas seule­ment.
De fait, d’un texte à l’autre, on fait ainsi connais­sance avec des pères, des tantes et des grands-mères – ces der­nières étant par­ti­cu­liè­re­ment présentes.

Ainsi se des­sine, en fili­grane, toute une constel­la­tion de figures tuté­laires dont cer­taines res­tent mys­té­rieuses, tan­dis que d’autres sont por­trai­tu­rées de façon expli­cite. Comme d’habitude, lorsqu’on lit un ouvrage col­lec­tif, on pré­fère cer­tains textes à d’autres.
Pour ma part, j’ai trouvé plus convain­cants les récits sui­vants, dont je range les autrices par ordre alpha­bé­tique (comme sur la cou­ver­ture de ce beau livre) : Denitza Bant­cheva, dans « Annie en vacances », part de l’évocation de vacances avec sa mère, moments où « Annie n’était jamais autant por­tée aux confi­dences et à la bonne humeur, en somme jamais autant elle-même », pour mon­trer com­ment, en exil dans son propre pays, la Bul­ga­rie com­mu­niste, Annie a poussé, par la vertu du contre-exemple, sa fille à l’exil. On y retrouve le style riche et étran­ger à toute faci­lité du prêt-à-penser qui carac­té­ri­sait déjà Visions d’elle, ouvrage aussi consa­cré à sa mère.

Laurence Campa, dans « À demi-mots », raconte l’histoire d’une mère d’origine viet­na­mienne extrê­me­ment dis­crète et qui a emporté très peu de choses en venant s’installer en France après la ruine de sa famille, cau­sée par la guerre d’Indochine. On appré­cie la finesse et la rete­nue de son récit et aussi la façon ori­gi­nale dont l’autrice aborde la trans­mis­sion, nous fai­sant com­prendre qu’elle a lieu même invo­lon­tai­re­ment et impli­ci­te­ment.
Jeanne Truong, dans « Les Corps débous­so­lés », raconte sa mère en plu­sieurs étapes, entre l’époque idyl­lique de la petite enfance de l’autrice et les années dif­fi­ciles à Paris, en pas­sant par le séjour cau­che­mar­desque dans les camps de Pol Pot au Cam­bodge. Tout ce que cette his­toire a d’horrible ou d’humiliant est pré­senté en limi­tant au pos­sible le pathos, ce qui rend le texte d’autant plus prenant.

Laura Ulo­natti, « Ita­liques », a grandi en France, mais elle garde l’empreinte pro­fonde de ses grands-parents et de la géné­ra­tion sui­vante, ori­gi­naires d’Italie, et qui n’ont jamais vrai­ment rompu en esprit avec le pays qu’ils avaient dû quit­ter, à la recherche d’une vie moins dif­fi­cile. Le style de l’autrice confère une ori­gi­na­lité par­ti­cu­lière à une his­toire qui res­semble à des mil­liers d’autres.
Le volume com­porte aussi des récits de Ananda Devi, Hélène Frap­pat, Sorour Kas­maï, Leïla Seb­bar et Véro­nique Tadjo ; cer­tains lec­teurs trou­ve­ront peut-être parmi eux leurs pré­fé­rés, tant l’ensemble est divers, autre­ment dit propre à satis­faire tous les goûts. Y com­pris ceux des ama­teurs d’illustrations, car l’ouvrage est accom­pa­gné d’images par­fois esthé­tiques et tou­jours poignantes.

agathe de lastyns

Col­lec­tif, Mémoires de nos mères, Des femmes en exil, textes réunis par Lau­rence Campa, Tex­tuel, novembre 2022, 168 p. – 39,00 €.

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