Tout part dans ce livre du chef-d’oeuvre de Michelangelo Antonioni, Blow up (1966). Inspiré par un photographe célèbre, le héros incarné par David Hemings, après un reportage photo sur les sans-abris, passe la matinée dans un parc, et, attiré par la lumière, prend des clichés.
L’endroit est presque désert, sauf un couple qui s’embrasse. Le personnage photographie de loin. La femme l’aperçoit et lui réclame les négatifs, il s’esquive.
Elle le retrouve dans l’après-midi et il lui donne une pellicule qui n’est pas la bonne. Il la développe et réalise des agrandissements successifs. Il découvre un meurtre. Il se rend de nuit sur les lieux et découvre le cadavre que ses photographies lui ont révélé. De retour chez lui, tous ses clichés et négatifs ont été volés.
Au petit matin, il retourne au parc pour photographier le cadavre, mais celui-ci a disparu. Le photographe a vu ce qu’il ne verra plus ou a cru voir ou n’a peut-être pas vu. Le parc est devenu un piège inouï pour son regard et l’énigme restera irrésolue.
C’est là une “matière” idéale pour Suzanne Doppelt. Dans son travail photographique, la question du regard a toujours été essentielle.
Grâce à la prose poétique, ce texte y revient autour d’un axe central, le parc londonien, dédoublé, démultiplié dans l’image, lieu d’apparition, de disparition, de métamorphoses et de perspectives multiples au milieu duquel le regard se perd.
Dans ce corpus incertain et lacunaire, l’image est traitée comme à titre d’échantillon, jusqu’à plus rien depuis ses tréfonds.
Reste ce qui émerge à peine, ce qui fait surface, pour un temps encore, jusqu’à ce qu’une trace du désespoir laisse place à un vide océanique, un vide imprégné d’une sorte de sentiment de douleur anesthésié d’un photographe dont le silence représente le dernier appel.
jean-paul gavard-perret
Suzanne Doppelt, Et tout soudain en rien, P.O.L éditeur, Paris, 2022, 80 p. — 13,00 €.