Valeria Bruni Tedeschi, Les Amandiers

«  Der­nière promo »

Cest une photo en noir et blanc prise en légère contre-plongée. Une photo de groupe, une photo de classe avec au pre­mier plan et au centre, les deux maîtres cha­ris­ma­tiques, Ché­reau et Romans et les élèves de l’école des Aman­diers ser­rés les uns contre les autres.
Au der­nier rang, se tient une jeune fille blonde, un peu rêveuse, Valé­ria Bruni Tedeschi.

De la photo au film en cou­leurs, de l’apprentie comé­dienne à la met­teur en scène, Les Aman­diers racontent ce che­min du théâtre au cinéma, de la docu­men­ta­tion des sou­ve­nirs à la fic­tion. La blon­deur de Nadia Teresz­kiewcz rap­pelle celle de la réa­li­sa­trice et sa vie bour­geoise dans une grande et belle mai­son avec major­dome évoque ses ori­gines sociales.
Eva Ionesco devient Estelle, Thierry, le sombre et auto­des­truc­teur Etienne. Seules les deux « légendes » gardent leur iden­tité. Le petit cigare à la bouche sert d’accessoire à Louis Gar­rel, devenu le direc­teur du théâtre.

Le film s’ouvre en quelque sorte, avant même son géné­rique, à la manière de cer­taines pièces, in medias res : on entend une jeune fille dire un pas­sage de la P. res­pec­tueuse de Sartre, sans qu’elle n’apparaisse à l’écran, lors de son audi­tion. Le théâtre est omni­pré­sent : sélec­tion à l’entrée, pas­sage devant le jury en champ contre-champ.
« Pour­quoi veux-tu être actrice ? », demande-t-on à Stella. Parce que je sens que je perds ma jeu­nesse. Décou­verte des résul­tats pla­car­dés sur la porte du hall comme autant de moments de joie ou d’amertume.

Le film de la matu­rité retrouve cette jeu­nesse ardente de la fin des années 80, des catas­trophes de Tcher­no­byl, des morts du sida, de la drogue qui cir­cule dans l’école. On lit « à la table » Pla­to­nov de Tché­khov. Vient ensuite la vio­lence de la dis­tri­bu­tion des rôles. Cer­tains joue­ront dans Pen­thé­si­lée de Kleist… Répé­ter, encais­ser des remarques acerbes sur son jeu. Le filage de la pièce.
Ché­reau est par­fois cruel et ridi­cule, abuse de son pou­voir et congé­die qui ne lui semble pas à la hau­teur. Tou­jours le théâtre, le désir et le pou­voir. La démo­cra­tie, selon lui, n’a pas sa place au théâtre.

On s’évade le temps d’un stage, à New York, chez Lee Stras­berg où l’apprentissage est moins tyran­nique et où l’amour tra­gique com­mence entre Etienne et Stella. Y reve­nir aussi, en sou­ve­nir à la fin du film, en enten­dant la triste chan­son d’amour ita­lienne Guarda che luna de Fred Bus­ca­glione.
Les élèves cir­culent en métro, en voi­ture mais Bruni Tedes­chi ne montre rien de leur vie intime et de ses dou­leurs : l’avortement, la mala­die incu­rable de la femme d’un jeune élève, déjà père de famille, l’overdose mor­telle. Les parents n’existent pas non plus car ces enfants sont des enfants du seul théâtre.

Toute leur éner­gie, celle des corps, tient dans ses moments de cinéma, comme autant de séquences orches­trées par sa chan­son popu­laire ou son extrait de musique clas­sique. Le théâtre pour­tant finit par épui­ser les êtres. La pro­mo­tion de 1986 aux Aman­diers sera la seconde et la der­nière. Il dévore ses enfants au fond. La der­nière image est un gros plan sur le visage de Stella comme pour sanc­ti­fier ce qui fait un film et qui n’a aucun sens, au théâtre.
Ché­reau tour­nera en 1987, une trans­crip­tion de Pla­to­nov, Hôtel de France, juste après la réa­li­sa­tion scé­nique, avec la plu­part des jeunes gens de l’école. Et Bruni Tedes­chi dédi­cace son film à Hélène de Saint-Père, morte récem­ment et elle aussi ancienne des Aman­diers. Tous les hom­mages sont une perte, celle de la jeu­nesse et des débuts sur les planches des vivants.

Le film Les Aman­diers a été sélec­tionné ( sélec­tion offi­cielle) au der­nier fes­ti­val de Cannes.

marie du crest

Les Aman­diers

De : Vale­ria Bruni Tedes­chi
Avec : Nadia Teresz­kie­wicz, Sofiane Ben­na­cer, Louis Gar­rel
Genre : Comé­die dra­ma­tique
Durée : 2H05mn
Sor­tie : 16 novembre 2022 en salle

Synop­sis
Fin des années 80, Stella, Etienne, Adèle et toute la troupe ont vingt ans. Ils passent le concours d’entrée de la célèbre école créée par Patrice Ché­reau et Pierre Romans au théâtre des Aman­diers de Nan­terre. Lan­cés à pleine vitesse dans la vie, la pas­sion, le jeu, l’amour, ensemble ils vont vivre le tour­nant de leur vie mais aussi leurs pre­mières grandes tragédies.

 

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Filed under DVD / Cinéma, Théâtre

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