Bien loin de l’image de carte postale…
Le romancier délaisse son couple de héros préférés, Daniel Magne et Lisa Heslin, à qui il a consacré sept romans, pour un nouveau personnage, Paul Kessler. C’est un flic qui a pris sa retraite à cinquante-six ans après un terrible drame personnel.
L’auteur l’emmène dans un cadre pas vraiment enchanteur de l’île de La Réunion.
Tout commence en 2016 quand Sogbe, un jeune chaman, doit suivre son initiation. Pendant son périple, il arrive au bord du lac Volta au Ghana. Il est fasciné par une femme endormie sur la plage, femme qu’il prend pour sa mère. Lorsqu’il se rend compte de son erreur, il lui tranche la tête et emmène la petite fille qui jouait tout près.
À Toulon, en 2020, Hubert Bourdonnais, par le bais d’un ami, fait intervenir Paul pour que cessent les “accidents” occasionnés par un petit cadre sur des ouvriers étrangers. Mais le véritable but d’Hubert est de le faire enquêter sur la mort, officiellement accidentelle, de son fils unique dans le crash de son hélicoptère.
À La réunion, à l’école Jacques Brel, Jean-Denis Pavadé, tout nouveau professeur des écoles, découvre les dessins de monstres de la petite Louna et des traces de coups sur son corps malingre.
Paul Kessler finit par accepter et, sur place, s’installe dans la maison qu’occupait le fils Bourdonnais. Dans l’avion, il a fait connaissance d’Ida, une native.
Jean-Denis est assassiné alors qu’il se baigne dans l’océan. Lorsque Paul rend visite à Ida, celle-ci est très inquiète car Jean-Denis, son neveu, ne répond pas à ses appels téléphoniques.
Et, quand le petit paradis se transforme en enfer, Paul va devoir combattre des forces bien sombres…
L’intrigue est structurée avec de nombreux intervenants sur des parcours qui semblent différents mais dont on se doute qu’ils vont, à un moment ou à un autre, se tangenter, se télescoper, se confondre.
Mais, quels peuvent être les liens entre un jeune Togolais coupable d’un double meurtre au Ghana, une petite fille terrorisée par ce qu’elle vit, l’assassinant d’un enseignant et un jeune héritier d’une belle entreprise, plus proche du jet-setter que de l’austère gestionnaire ?
Pour ce nouveau roman, Jacques Saussey anime un ex-flic, une sacrée pointure de la Crim’ de Lyon qui, ravagé par la perte de son épouse et de son fils unique, a tout abandonné pour s’installer près du lieu où ils reposent. Cependant, il reste un flic avec ses réflexes et sa capacité de déduction.
C’est parce qu’il connaît ce drame qu’Hubert Bourdonnais veut utiliser ses compétences pour éclaircir les conditions de la mort de son propre fils. Il espère que Paul, motivé par sa propre situation, va tout faire pour mener des investigations et approcher la vérité.
Avec ce personnage principal, une galerie de protagonistes étoffée où chacun est patiemment conçu tant au point de vue caractère que psychologique, le romancier développe une histoire dure, cruelle, ne se complaisant pas que sur le sable des lagons enchanteurs. Il met en scène la criminalité la plus endurcie et la plus vile, entre trafics, sectes et perversions.
Le titre de l’ouvrage est-il un hommage à la célèbre chanson de Barbara, un texte à la fois magnifique et poignant ?L’auteur pointe en tout cas avec humour et justesse, nombre des travers de ses contemporains comme le font, par exemple, ceux qui se lèvent à peine l’avion immobilisé pour attendre dans l’allée centrale, puis devant un tapis roulant l’arrivée des bagages.
Avec ce nouveau livre, Jacques Saussey donne un récit âpre, terrible, violent, dans un univers où tout pourrait inciter au plaisir de vivre, avec un nouveau héros que l’on aimera retrouver dans d’autres enquêtes.
serge perraud
Jacques Saussey, L’Aigle noir, Fleuve noir, coll. “Thrillers”, octobre 2022, 528 p. — 22,90 €.