Michel Butor, Géographie parallèle

Une écri­ture quasi mathé­ma­tique, volup­tueuse aussi, riche de termes qui ne sont qu’ouvertures…

Descrip­tions minu­tieuses, expli­cites d’un monde où les siècles s’entrechoquent, où la mémoire et le futur s’interpénètrent. Géo­gra­phie d’une His­toire humaine, riche dans sa diver­sité, aux contours par­fois déca­dents, dont l’universalité se note par des détails et par des sou­bre­sauts tan­tôt sublimes tan­tôt funestes tan­tôt extra­va­gants tan­tôt incon­ce­vables tan­tôt… Il y a de la mytho­lo­gie, du conte, de la nar­ra­tion à plu­sieurs faces chez Michel Butor, de l’écriture au cou­teau - ce n’est pas pour rien qu’il se dit expé­ri­men­ta­teur et que le Nou­veau Roman lui doit une bonne part de ses lettres de noblesse. La ville est l’un de ses lieux de conquête : il l’investit de sa fougue ; lui délivre un diag­nos­tic sans haine ni com­plai­sance ; décrète que la révolte couve, que les poings se pré­parent ; rameute encore les souffles de la mémoire. Cette ville sou­vent se trans­forme en ves­tiges, la guerre, la pol­lu­tion de l’air et des pen­sées contri­buant à sa ruine, à son érec­tion en pous­sière. Il faut alors faire des pro­jets pour les nuits qui viennent, sans oser regar­der plus loin.

V
oyage, voyages. L’Amérique latine, l’Éthiopie, le Paci­fique, le Proche-Orient, l’Australie, Venise, l’Indonésie, la Chine, l’Égypte, l’Inde… et l’Atlantide même : c’est une Géo­gra­phie aux mul­tiples facettes — éco­no­mique, his­to­rique, humaine — où le tou­riste n’a pas lieu d’être, à moins qu’il ne soit un regard qui pense. Consta­ta­tion des dérives humaines, comme il y a dérive des conti­nents, ce livre palpe là où ça fait mal, détec­tant la moindre plaie, la moindre fis­sure. La science-fiction tient sa place éga­le­ment, par l’émergence cau­che­mar­desque d’un futur hal­lu­ciné — et ce futur, ce pour­rait être le nôtre ! Michel Butor, arpen­tant le pré­sent, prend la mesure de toute chose ; et le constat est lourd de conséquences…

L’écri­ture — car il y a une écri­ture spé­ci­fique — est quasi mathé­ma­tique par sa rigueur, volup­tueuse par son rythme qui danse ; riche de termes qui ne sont qu’ouvertures, qui s’harmonisent pour mieux faire sen­tir les aspé­ri­tés du monde, et cette com­plexité d’où émerge le pré­sent dans tous ses pos­sibles. Le plai­sir de la lec­ture va de pair avec l’introspection du monde, ce qui donne à pen­ser par l’agitation, par le remous, par cette grif­fure sans cesse renou­ve­lée sur la pen­sée tran­quille. Les mots sont là pour mettre en évi­dence les maux. Pour que ça démange, que ça dérange. Que ça pulse les nerfs, les neu­rones. Avant que ne s’endorme le temps. Le temps d’être. Et d’agir.

 daniel leduc

   
 

Michel Butor, Géo­gra­phie paral­lèle. Edi­tions L’Amourier coll. “Car­nets”, 1998, 56 p. — 19,00 €.

 
     

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