Ventre saint grigri ou les images du corps
Philippe Comar s’est doté de divers savoirs dont il use tour à tour ou en symbiose. Historien d’art atypique (ce n’est pas un reproche, bien au contraire), commissaire d’exposition et romancier, il enseigna aussi, le dessin et la morphologie à l’École des Beaux-Arts.
Les principes qu’il inculqua, il les suit lui-même et en offre la preuve même par ses textes à la fois “contre nature” mais au plus profond de l’être. Tout l’enchante par ce qui semble inerte mais ne l’est pas derrière l’enveloppe corporelle et ce, par solidarité d’en-bas et fantaisie d’en-haut.
Confrontant l’approche du savant et celle de l’artiste, Philippe Comar montre comment — des images des statuettes préhistoriques aux images obtenues par résonance magnétique nucléaire — le corps humain sculpté, peint, dessiné, tatoué, écorché, radiographié, a suscité de multiples représentations et renvoie au désir de connaître, mais aussi à la morbidité ou à l’érotisme.
“Curieusement, le système digestif, premier organe où s’ébauchait le vivant, était aussi l’organe où s’ébauchaient les impressions les plus vives, les réactions dites viscérales, familièrement, ce qui prenait aux tripes, ou à l’inverse ce qu’on ne digérait pas.” écrit-il. Et d’ajouter que le ventre permet de renouer avec un rapport plus étroit au monde. Bref, placé en creux d’une vivante tripaille, pour lui “le monde devenait ma paroi.”
Il reprend ainsi les faunes microscopiques, les annotations biologiques de Georges Cuvier et Pierre Louÿs, les curiosités anatomiques du mollusque ou du protozoaire que convoitent les élans fantasmagoriques sensibles et dévorantes de Jean Genet. Nous sommes guidés dans le plus profond des voyages selon un récit circonstancié, plaisamment digressif et drôle, merveille d’intelligence et de style.
Par le système intestinal se relie le génie érotico-littéraire grâce au “Messer Gaster” (Rabelais) mais sans qu’aucune indigestion soit à craindre. Nous le savons d’ailleurs depuis longtemps tout est bon, autant dans le cochon que le charcutier .
Et ici mieux qu’ailleurs par la minutie d’un artiste et écrivain fouilleur.
jean-paul gavard-perret
Philippe Comar, Ventre, Dessins de Dany Danino, Editions Fata Morgana, Fontfroide le haut, novembre 2022, 48 p. — 12,00 €.