Clémentine Chevaline, en insatiable prêtresse, est capable d’intégrer du feu dans ses sculptures non sans humour. Ses poupées (Ombeline, Aiglantine et les autres) y agréent. Tout cela n’est pas très sage : mais pour notre ravissement. Les démones sont au poil. Elles ne plombent en rien le moral. Au contraire.
Il faut dire que, depuis qu’elle est petite, “les vieilles poupées me fascinent autant qu’elles me font rire (vous savez celles avec des têtes d’adultes qui font flipper tout le monde mais qui à la base étaient destinées aux enfants, donc j’imagine choyées par eux aussi à l’époque…)”. Ses parents se demandent parfois d’où ça vient, ces poupées “un peu dark et tout et tout. Ne cherchez pas plus loin. …” dit-elle. Pareil pour le mot « tueur »,” ce mot m’a toujours fait un peu rire”. Car elle était enfant un peu spéciale. Et a su le rester.
Voir son Instagram
Quʼest-ce qui vous fait lever le matin ?
Le fait d’avoir finalement choisi d’être artiste. Oh, bizarre cette phrase… parce que déjà on ne choisit pas, et en plus ça veut dire quoi être artiste. Hmmm je veux dire ce qui me fait lever le matin c’est ce sentiment de liberté de choisir d’être qui on est vraiment, je veux dire d’assumer ça. Bon, je vous avoue que ce n’est malheureusement pas tous les matins, mais il est là suffisamment je crois, assez pour me dire que j’ai de la chance.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils se rapprochent à nouveau… Je les avais quasi perdus pendant un moment je crois, en tout cas de vue, pfiou ! j’ai eu chaud !
A quoi avez-vous renoncé ?
A ressembler à ce qu’on attend de moi.
Dʼoù venez-vous ?
De mes parents et de mon environnement familial, de mon éducation je suppose, de mes amis, de mes amours (je parle de tous hein, littéraires, musicaux, cinématographiques compris) et puis aussi juste de nulle part, de moi, comme un petit bout de je ne sais pas quoi de passage sur terre, qui ressemblerait à un petit point mais qui fait quand même son petit truc sur Terre, haha. J’aime cette idée.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Un peu de folie douce, pas trop d’injonctions ça va, mais quelques-unes quand même, parfois assez pour être pas mal en colère de la difficulté de s’en débarrasser, c’est assez connu ça colle… Un tempérament assez anxieux, et même pas très sécure parfois, il y en a pas mal dans la famille… Une sensibilité particulière et l’humour qui va avec.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Marcher en campagne, par chez moi, dans les monts de Flandres.
Comment organisez-vous votre jeu entre Eros et Thanatos ?
Bon, j’ai dû vérifier le mythe sur Wikipédia, c’était plus sûr. Je suis pas une grande érudite… ça va, j’étais pas loin. Bah, comme un jeu justement, on s’entend plutôt bien tous les trois, on se tient les mains, on fait la ronde et on tourne !!! Parfois on fait des petits selfies à la manière d’un groupe de rock (et là vous vous demandez, hmmm est-ce qu’elle a bien compris…)
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Je crois que c’est la vision d’une maison dans la pénombre, avec ses fenêtres éclairées, une boite sombre et des petites ouvertures lumineuses, floutées par des rideaux. Cet effet « maison de poupée », ce contraste, vision surréaliste, délice mystérieux, et cette envie de regarder à travers les fenêtres, comme pour découvrir des secrets, mais en même temps conserver le tout, profiter de ce que cette image produisait chez moi.
Et votre première lecture ?
Je crois que c’est le conte ‘Michka”, ou “Boucle dʼOr” peut-être…
Quelles musiques écoutez-vous ?
Hmmm, beaucoup, surtout des choses actuelles (en tout cas pas très vieilles), pourvu qu’elles ne s’inscrivent pas trop dans des genres prédéfinis. Des trucs audacieux mais qui s’amusent aussi avec les codes. J’aime quand c’est mélodique, lyrique, sombre, étrange, onirique. Du dark lumineux quoi. J’adore Kate Bush par exemple. J’aime aussi beaucoup les gros synthés des année 80.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je suis allée voir les quelques livres que j’ai gardés après mon dernier déménagement, ça m’a aidé pour répondre à cette question. Et je dirais donc : “Le destin miraculeux d’Edgard Mint” de Brady Udall, une épopée d’enfance sur fond d’Ouest Américain, un délice…
Quel film vous fait pleurer ?
« Capharnaüm », « Les bêtes du Sud Sauvage »… ce genre de films (ah bah, on retrouve un peu dʼEdgar Mint d’ailleurs).
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je suis allée me regarder dans le miroir. Un enfant vieillissant, un adulte qui a encore des choses à vivre et à dire, mais déjà un peu fatigué, fais chier merde, pardon pour le langage.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A ma sœur.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Alors là je sèche, l’Ouest américain haha.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Alors, les écrivains dont je me sens le plus proche sont des auteurs de bande dessinée ou des auteurs de littérature jeunesse, donc je citerai Edward Gorey (même si ses livres sont autant destinés aux adultes, c’est d’ailleurs cette singularité que j’aime), sinon je dirais Lewis Caroll, Shigueru Mizuki, Kitty Crowther… Mais je pourrais en citer bien d’autres. Et les artistes dont je me sens le plus proches sont finalement quasi toujours des auteurs, j’ai donc répondu à la question !
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une maison de poupée ancienne, magnifique, style victorienne, avec tout l’intérieur aménagé. Je la poserai sur un guéridon, dans ma grande maison de style Victorien aussi, que j’aurais également eue à mon anniversaire.
Que défendez-vous ?
La différence, la singularité, le mystère, j’en fais même une ode à chanter dans ce monde de brutes, tout lisse, déserté par la poésie, ou envahi par la bêtise (j’imagine qu’il doit y avoir un rapport de cause à effet).
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ohlala, je ne sais pas du tout… pas trop fan de psychanalyse, ce truc de rattacher toujours et toujours tous ses comportements, toutes ses pensées et ses motivations à la cellule familiale. Ok, il y en a c’est certain, mais pas autant franchement. Je n’aime pas l’idée de n’être réduit qu’à un produit de ses parents, pas assez mystique pour moi, et l’individu connecté à la nature, aux secrets et aux mystères du monde ??? Nan franchement, c’est trop triste la psychanalyse, ça manque d’ouverture, de poésie. Et puis les sciences cognitives, on en fait quoi hein ?…
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Ca c’est beaucoup plus drôle ! Je préfère nettement
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Aucune je pense, c’est déjà pas mal je crois .
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 7 novembre 2022.