Laurence Skivée offre une autobiographie à sa manière, à savoir sublimée par sa simplicité et la qualité de l’écriture. Le titre semble trompeur avec sa masculinité.
Mais le “je” le dynamite et lorsque l’auteure écrit : “Je viens d’une famille maniaque. Tous les samedis matin, j’avais droit à la loque à poussière sur la clenche de la porte de ma chambre. J’époussetais pendant que ma mère nettoyait le salon : je faisais le haut, elle faisait le bas. Une fois par mois, je prenais les poussières à fond, bien dans les coins. Les plinthes, les interrupteurs, les fils, tout y passait. Après l’effort, je regardais Pause-café. Je craquais pour Véronique Jannot. Je voulais devenir assistante sociale…”, le doute n’est plus permis.
A partir de là se créent une belle évocation d’une enfance et l’histoire d’une vie. La native d’Alleur — petit village proche de Liège — offre un corpus poétique délicat où se retrouve le lointain qui redevient proche au sein de données “objectives” du réel disséminées en fragments d’images où temps passé déborde implicitement vers le présent d’un bel aujourd’hui vivace.
Laurence Skivée retient et libère sa vie en une suite de formes aussi simples qu’altières. Un tel minimalisme — preuve de pudeur poétique — ramène à celle qui “a fini artiste” et écrivaine. Et qui a trouvé dans de telles activités le moyen d’éviter les horaires, la foule. Cela lui permet de flâner, marcher et vivre certes chichement mais selon un “riche parcours”.
Que la créatrice vende peu, cela lui importe peu : elle offre facilement et adore envoyer “des petits formats à l’occasion d’anniversaires, de fêtes de Noël et autres.” Et la forme du livre devient l’assemblage de moments, leur avant et leur après, leur avancée et leur recul. Cela peut s’appeler Eden ou enclos. L’artiste y noue des entrelacs. La lumière efface toute ombre en embrassant l’espace afin de créer une poésie capable de fomenter une étrange fascination par humilité.
Rien ne se perd du passé et de ses émois dans ce livre du présent là où ” le laveur de vitres m’accompagne. Il nous accompagne. Pour un temps, j’imagine.” dit-elle. Oui, peut-on lui répondre ; de la sorte “ça suit son cours” comme disait Beckett. Et ce que le texte rameute de déperdition, dans le même mouvement il le ramène.
Le livre devient une méditation et une exaltation unissant un mouvement de dilatation à celui de la concentration. Il lie l’infime à l’immense, loin de tout effet spectaculaire en de subtiles harmonies.
Reste à s’abîmer en un tel nettoyage. Entre le laveur de vitre et l’écrivaine il n’y a donc rien de “chiffon” même si les deux avec un tel textile et chacun à leur façon font le ménage de la maison de l’être. Ils s’arrangent pour tenir en équilibre : épousseter doit intégrer le fait de ne pas tomber.
Le cas échéant, il faut savoir se relever — ce qui reste le privilège des humbles. A la possession de choses, ils préfèrent la lumière qui tombe sur elles, même lorsque le ciel est encombré.
jean-paul gavard-perret
Laurence Skivée, Le laveur de vitres, La Lettre volée, Bruxelles, 2022, 192 p.