Jean-Philippe Toussaint, Nue

Ouf  !

Nue clôt le roman qua­dri­par­tite de la vie de Marie. Cet ensemble est autant une suite de nar­ra­tions qu’un essai sur le désir com­mencé avec Faire l’amour  (2002). Marie y por­tait un man­teau de cuir noir et pleu­rait copieu­se­ment de Paris à Tokyo. On la retrouva en 2005 dans Fuir. Mal­gré sa réus­site sociale et les appa­rences elle ne parais­sait guère plus relui­sante. Dans le troi­sième temps ( La vérité sur Marie), elle tra­ver­sait encore l’orage, le vent, la pluie, les éclairs, la nuit, le sexe et la mort. Tout com­men­çait sur une ambi­guïté : « Plus tard en repen­sant aux heures sombres de cette nuit cani­cu­laire, je me suis rendu compte que nous avions fait l’amour au même moment, Marie et moi, mais pas ensemble ». Ce doute n’est pas for­cé­ment levé dans l’ultime retour de Marie : Nue (mais il faut se méfier du titre). Cette retrou­vaille entraîne chez le lec­teur une double ques­tion : est-ce une libé­ra­tion ou un regret ? Tous­saint va-t-il enfin reve­nir à ses fon­da­men­taux ou demeu­rer dans un fond de com­merce sen­ti­men­tal ?
Le pro­jet auquel l’auteur tenait beau­coup finit par las­ser. Les aven­tures amou­reuses hési­tantes de Marie et de son nar­ra­teur ne sont pas tou­jours sans inté­rêt mais on est loin de  La salle de bains  ou de Télé­vi­sion. Dès lors Nue se lit vite tant on veut en finir avec les affres et fina­li­tés sup­po­sées de l’amour. Les suites de tableaux et de situa­tions vol­ca­niques ou lar­vées, silen­cieuses ou volup­tueuses, chaudes ou pla­to­niques s’achèvent pous­si­ve­ment. Tous­saint tente d’entraîner dans un tour­billon. Mais plus que faire des vagues, ce der­nier se réduit à une suite de cla­po­tis. Les emboî­te­ments d’éléments, déchaî­nés ou non, de situa­tions paroxys­miques ou quel­conques n’ont rien à voir avec ce qu’un Claude Simon aurait été capable de pro­po­ser sur le même registre. Res­tent une cer­taine maes­tria, une dyna­mique. Tous­saint demeure capable d’une vio­lence sourde, il sait mon­ter la ten­sion dans des scènes par­fois tra­giques mais par­fois d’une miè­vre­rie consumée.

Dès le début, Nue com­mence mal ou plu­tôt « à la Lady Gaga ». Marie pré­sente son ouvrage point d’orgue de sa col­lec­tion automne hiver : sa robe de miel.
« À la fin du défilé, l’ultime man­ne­quin sur­gis­sait des cou­lisses vêtue de cette robe d’ambre et de lumière, comme si son corps avait été plongé inté­gra­le­ment dans un pot de miel déme­suré avant d’entrer en scène. Nue et en miel, ruis­se­lante, elle s’avançait, sui­vie d’un essaim d’abeilles qui lui fai­sait cor­tège en bour­don­nant en sus­pen­sion dans l’air, aimanté par le miel, tel un nuage allongé et abs­trait d’insectes vrom­bis­sants qui accom­pa­gnaient sa parade ».
Suivent diverses consi­dé­ra­tions secon­daires et des scènes anec­do­tiques. Si bien que les imbro­glios du nar­ra­teur fatiguent. Ils étaient résu­més dans un pas­sage du troi­sième volume de cette saga :
« Marie n’était pas Marie, mais je ne par­ve­nais pas, et ne par­vien­drais pas tout au long de cette nuit, à me dédou­bler moi-même, à être à la fois celui que j’étais pour Marie (l’amour, le com­pa­gnon, même si nous étions en train de nous sépa­rer) et celui que j’étais pour Marie (un amant, une aven­ture occa­sion­nelle), demeu­rant inexo­ra­ble­ment moi-même tout au long de cette nuit, dans une trou­blante per­sis­tance du soi face à la mul­ti­pli­cité des femmes».

Nue  crou­pit le plus sou­vent dans un des­crip­tif psy­cho­lo­gique du « roman bour­geois » et bobo. On n’est de moins en moins sur­pris (hélas !) de le retrou­ver aux Edi­tions de Minuit. Mais en cette ultime ren­contre, le désir de l’écriture fait cruel­le­ment défaut. A force l’imagination mou­rante a du mal à ima­gi­ner encore. Le lec­teur est saoûlé par les défi­lés du clone d’Inès de la Fres­sange aux silences bou­deurs et aux écarts d’humeur. Et ce, même si Tous­saint tente de don­ner aux vaca­tions de la don­zelle quelque chose de far­cesque :
« La pré­pa­ra­tion de la robe en miel avait éga­le­ment posé d’épineuses ques­tions juri­diques, d’assurances et de contrat. Au terme d’un long cas­ting orga­nisé dans les bureaux de la mai­son la man­ne­quin fut choi­sie : une jeune Russe d’à peine dix-sept ans (…) Elle fut invi­tée à pas­ser plu­sieurs visites médi­cales, dut consul­ter un der­ma­to­logue et un aller­go­logue, des tests furent pro­gram­més dans une cli­nique pri­vée pour véri­fier que sa peau pou­vait sup­por­ter sans risque d’eczéma ou d’irritation un contact mas­sif de miel».
L’humour de Tous­saint devient de plus en plus labo­rieux. Les anec­dotes léni­fiantes sont tout juste propres à agré­men­ter le ver­sion fran­çaise du Vanity Fair. En bout de lec­ture on songe sou­dain à Swann: ” Quand je pense que j’ai failli mou­rir pour une femme qui n’était même pas mon genre.”. Il est temps que le nar­ra­teur fasse comme le héros prous­tien. Il est temps que l’écrivain ferme le der­nier volet du roman à tiroirs de Marie Made­leine Mar­gue­rite de Mon­talte. Il a mieux à faire : entre autres, s’intéresser de nou­veau à la littérature.

jean-paul gavard-perret

Jean-Philippe Tous­saint, Nue, Edi­tions de Minuit, Paris,2013, 176 p. - 14,50 €

3 Comments

Filed under On jette !, Romans

3 Responses to Jean-Philippe Toussaint, Nue

  1. meg

    Eh bien ! A vrai dire, quand on lit JP Tous­saint pour la pre­mière fois avec “Nue”, on est… cham­bou­lée et com­plè­te­ment empor­tée par les vagues de son écri­ture, et par l’amour du nar­ra­teur pour Marie.
    Et alors on lit les trois pre­miers, et on peut com­prendre le désar­roi de cer­tains lec­teurs qui, comme vous, ont déjà tout lu de l’auteur.
    Pour ma part ce fut donc une décou­verte, et une grande décou­vert !
    meg.
    vivrepiedsnus.wordpress.com

  2. dheur marthe

    Jean Phi­lippe Tous­saint est un immense écri­vain inou­bliable. Sur un sujet vieux comme le monde, il nous fait avec NUE un magni­fique cadeau avec ce roman sur­pre­nant et époustouflant.

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