Nue clôt le roman quadripartite de la vie de Marie. Cet ensemble est autant une suite de narrations qu’un essai sur le désir commencé avec Faire l’amour (2002). Marie y portait un manteau de cuir noir et pleurait copieusement de Paris à Tokyo. On la retrouva en 2005 dans Fuir. Malgré sa réussite sociale et les apparences elle ne paraissait guère plus reluisante. Dans le troisième temps ( La vérité sur Marie), elle traversait encore l’orage, le vent, la pluie, les éclairs, la nuit, le sexe et la mort. Tout commençait sur une ambiguïté : « Plus tard en repensant aux heures sombres de cette nuit caniculaire, je me suis rendu compte que nous avions fait l’amour au même moment, Marie et moi, mais pas ensemble ». Ce doute n’est pas forcément levé dans l’ultime retour de Marie : Nue (mais il faut se méfier du titre). Cette retrouvaille entraîne chez le lecteur une double question : est-ce une libération ou un regret ? Toussaint va-t-il enfin revenir à ses fondamentaux ou demeurer dans un fond de commerce sentimental ?
Le projet auquel l’auteur tenait beaucoup finit par lasser. Les aventures amoureuses hésitantes de Marie et de son narrateur ne sont pas toujours sans intérêt mais on est loin de La salle de bains ou de Télévision. Dès lors Nue se lit vite tant on veut en finir avec les affres et finalités supposées de l’amour. Les suites de tableaux et de situations volcaniques ou larvées, silencieuses ou voluptueuses, chaudes ou platoniques s’achèvent poussivement. Toussaint tente d’entraîner dans un tourbillon. Mais plus que faire des vagues, ce dernier se réduit à une suite de clapotis. Les emboîtements d’éléments, déchaînés ou non, de situations paroxysmiques ou quelconques n’ont rien à voir avec ce qu’un Claude Simon aurait été capable de proposer sur le même registre. Restent une certaine maestria, une dynamique. Toussaint demeure capable d’une violence sourde, il sait monter la tension dans des scènes parfois tragiques mais parfois d’une mièvrerie consumée.
Dès le début, Nue commence mal ou plutôt « à la Lady Gaga ». Marie présente son ouvrage point d’orgue de sa collection automne hiver : sa robe de miel.
« À la fin du défilé, l’ultime mannequin surgissait des coulisses vêtue de cette robe d’ambre et de lumière, comme si son corps avait été plongé intégralement dans un pot de miel démesuré avant d’entrer en scène. Nue et en miel, ruisselante, elle s’avançait, suivie d’un essaim d’abeilles qui lui faisait cortège en bourdonnant en suspension dans l’air, aimanté par le miel, tel un nuage allongé et abstrait d’insectes vrombissants qui accompagnaient sa parade ».
Suivent diverses considérations secondaires et des scènes anecdotiques. Si bien que les imbroglios du narrateur fatiguent. Ils étaient résumés dans un passage du troisième volume de cette saga :
« Marie n’était pas Marie, mais je ne parvenais pas, et ne parviendrais pas tout au long de cette nuit, à me dédoubler moi-même, à être à la fois celui que j’étais pour Marie (l’amour, le compagnon, même si nous étions en train de nous séparer) et celui que j’étais pour Marie (un amant, une aventure occasionnelle), demeurant inexorablement moi-même tout au long de cette nuit, dans une troublante persistance du soi face à la multiplicité des femmes».
Nue croupit le plus souvent dans un descriptif psychologique du « roman bourgeois » et bobo. On n’est de moins en moins surpris (hélas !) de le retrouver aux Editions de Minuit. Mais en cette ultime rencontre, le désir de l’écriture fait cruellement défaut. A force l’imagination mourante a du mal à imaginer encore. Le lecteur est saoûlé par les défilés du clone d’Inès de la Fressange aux silences boudeurs et aux écarts d’humeur. Et ce, même si Toussaint tente de donner aux vacations de la donzelle quelque chose de farcesque :
« La préparation de la robe en miel avait également posé d’épineuses questions juridiques, d’assurances et de contrat. Au terme d’un long casting organisé dans les bureaux de la maison la mannequin fut choisie : une jeune Russe d’à peine dix-sept ans (…) Elle fut invitée à passer plusieurs visites médicales, dut consulter un dermatologue et un allergologue, des tests furent programmés dans une clinique privée pour vérifier que sa peau pouvait supporter sans risque d’eczéma ou d’irritation un contact massif de miel».
L’humour de Toussaint devient de plus en plus laborieux. Les anecdotes lénifiantes sont tout juste propres à agrémenter le version française du Vanity Fair. En bout de lecture on songe soudain à Swann: ” Quand je pense que j’ai failli mourir pour une femme qui n’était même pas mon genre.”. Il est temps que le narrateur fasse comme le héros proustien. Il est temps que l’écrivain ferme le dernier volet du roman à tiroirs de Marie Madeleine Marguerite de Montalte. Il a mieux à faire : entre autres, s’intéresser de nouveau à la littérature.
jean-paul gavard-perret
Jean-Philippe Toussaint, Nue, Editions de Minuit, Paris,2013, 176 p. - 14,50 €
Eh bien ! A vrai dire, quand on lit JP Toussaint pour la première fois avec “Nue”, on est… chamboulée et complètement emportée par les vagues de son écriture, et par l’amour du narrateur pour Marie.
Et alors on lit les trois premiers, et on peut comprendre le désarroi de certains lecteurs qui, comme vous, ont déjà tout lu de l’auteur.
Pour ma part ce fut donc une découverte, et une grande découvert !
meg.
vivrepiedsnus.wordpress.com
Toussaint est un immense écrivain. Quant à ” Nue “, un roman admirable.
Jean Philippe Toussaint est un immense écrivain inoubliable. Sur un sujet vieux comme le monde, il nous fait avec NUE un magnifique cadeau avec ce roman surprenant et époustouflant.