Michel Butel, L’Autre livre

Le presque oublié

L’Autre livre, paru en 1997, redonne son nom à cette édi­tion com­plète des écrits pro­téi­forme de Michel Butel dis­paru en 2018. Pour lui, l’écriture était géné­rale dans la mesure où il ne cloi­son­nait rien : poèmes, contes, nou­velles, romans, essais ou frag­ments d’essais, tout était animé de la même fièvre.
Les lec­teurs un peu “anciens” se sou­viennent des jour­naux qu’il a fon­dés : L’autre jour­nal, Encore, L’Azur (écrit de sa seule plume) ou L’impossible. Et si écri­vant depuis cette vie “où nous fûmes si per­plexes et où il ne res­te­rait que la dia­go­nale du déses­poir”, il y puisa la force de lui échap­per en trou­vant lignes, angles, incli­nai­sons de la géo­mé­trie variable de la vie.

De ce lieu où, tout compte fait, il ne s’attarda pas assez long­temps, il sut se main­te­nir comme Duras son amie, “en un état de gai déses­poir”. Dans une ten­sion fas­ci­nante et irré­so­lue, entre la soli­tude, voire l’isolement, sa quête et son action fut dans le rêve d’une com­mu­nauté à venir.
Pour Butel, la lit­té­ra­ture devait lut­ter contre l’appauvrissement de la vie, contre ses muti­la­tions car tout devait tendre vers quelque chose “d’autre”. Avec celles et ceux qu’il publia comme dans son écri­ture, il défen­dit la pos­si­bi­lité d’être non un mais mul­tiple  : “toutes ces vies mises ensemble n’en feront jamais une, la vraie” rappelait-il.

Le prouvent les trois récits (roman poli­cier, conte phi­lo­so­phique et témoi­gnage his­to­rique) qu’il publia de son vivant, ras­sem­blés ici selon ses vœux. Le plus signi­fi­ca­tif reste L’Autre Amour (prix Médi­cis en 1977), double his­toire d’amour en fuite entre une actrice de théâtre et un gau­chiste recher­ché par la police et sur­vi­vant du cau­che­mar nazi. La Figu­rante en est la suite.
Quant au récit L’Enfant, paru en 2004, il se démarque de ces deux ten­ta­tives roma­nesques, par la briè­veté envoû­tante d’une fable. Dans une chambre d’hôpital, un homme recueille les paroles pro­phé­tiques d’un enfant gra­ve­ment malade ; celui-ci n’a pas de nom et “trans­met un mes­sage mais il ignore lequel, il ne sait pas qui le lui a confié, il ne sait plus à qui le remettre” et l’écrivain pas plus, dans une manière de (se) rendre insaisissable.

Un der­nier récit, dicté par la secousse des atten­tats du 11 sep­tembre, était resté à l’état de manus­crit. Deux incon­nus, un écri­vain et une ana­lyste, vivent une ren­contre aussi brève que pas­sion­née au moment de l’effondrement des Twin Towers. Pour eux, aimer et écrire res­tent les seules réponses impar­faites à la catas­trophe. Mais pas n’importe com­ment et, dans le second cas, il faut le faire dans la langue qui n’est celle du Bien ou du Mal mais de la beauté du monde.
Et ce, avec une exal­ta­tion par­ti­cu­lière, par­fois avec déri­sion mais tou­jours avec force. Preuve que la lit­té­ra­ture d’un cer­tain autre­fois garde son ala­crité et son mor­dant. De cha­cune des misères peuvent sor­tir des miracles vaga­bonds mais jamais contrefaits.

jean-paul gavard-perret

Michel Butel, L’Autre livre, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, octobre 2022, 664 p. — 12,00 €.
Paraît au même moment et chez le même édi­teur L’Azur, 264 p. — 28,00 €.

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