D’une actualité plus que brûlante !
Une série de cartes ouvre l’ouvrage pour montrer l’évolution de l’Ukraine au cours de l’Histoire, de 1054 à la terrible famine de 1932–1933, une famine délibérément provoquée par staline (C’est volontairement que je mets un s minuscule à ce nom, il ne mérite pas une majuscule).
Dès le printemps 1932, des familles mangeaient de l’herbe et des glands. Des cadavres gisaient dans les rues car personne n’avait la force de les enterrer.
C’est pour forcer les paysans à céder leur terre et à rejoindre des fermes collectives que le politburo dirigé par staline a fait réquisitionner les céréales. À l’automne 1932, le dictateur décide d’empêcher les paysans de quitter le pays pour trouver des vivres. Il envoie des brigades de policiers, de militants du Parti motivés par la faim, la peur et une décennie de rhétorique du complot pour s’emparer, dans les foyers paysans, de tout ce qui pouvait être comestible : pommes de terre, betteraves, courges, haricots, animaux de ferme et de compagnie… Les historiens estiment aujourd’hui que 3,9 millions d’Ukrainiens sont morts de faim en quelques mois.
Mais, tandis que les populations décédaient, la police secrète soviétique s’attaquait aux élites politiques et intellectuelles ukrainiennes pour éliminer quiconque voulait défendre la culture du pays. Ce massacre a été appelé Holodomor composé avec holod, la faim en Ukrainien, et mor, l’extermination.
Mais la soviétisation du pays n’a pas commencé ni fini avec la famine. Pendant plus d’un demi-siècle, les dirigeants soviétiques successifs répriment de toutes les manières possibles. C’est la destruction des archives locales, des registres de décès, la modification des éléments de recensement pour cacher ce qui s’est produit. La famine n’a jamais existé !!!
En introduction Anne Applebaum rappelle les différentes étapes de la constitution de l’Ukraine, son appartenance totale ou partielle, au cours des siècles à la Pologne, à l’empire austro-hongrois, à l’empire russe… Elle retrace en détail ce qui s’est passé depuis 1917, la révolution et son mouvement national anéanti en 1932–1933 jusqu’aux années 2010. Elle explicite la révolution ukrainienne de 1917, la rébellion de 1919, la famine de 1920, la révolte de 1930, l’échec de la collectivisation qui a amené ce Holodomor ou génocide, ce terme inventé par Raphael Lemkin, un juriste polonais après la Seconde Guerre mondiale.
L’auteure termine sur un épilogue justifié par la situation nouvelle créée par l’annexion de la Crimée, événement qu’elle ne pouvait passer sous silence, qu’elle a dû inclure dans cette étude exhaustive, ce qui a retardé sa parution, en 2017 aux États-Unis.
La plongée dans ce dossier impressionne tant par la somme des connaissances rassemblées que par la qualité de l’écriture. Elle développe les diverses situations politiques et sociales et parallèlement descend au plus profond de l’horreur pour décrire, à partir de témoignages de l’époque, à partir de déclarations de personnes ayant pu s’exprimer après 1991 ou en exil. Elle retrace un parcours effrayant. C’est l’ignominie portée à des sommets vertigineux.
Anne Applebaum signe un dossier admirable dont il faut recommander la lecture pour mesurer jusqu’où la nature humaine peut être vile, pour comprendre les enjeux de la situation actuelle qui s’inscrit dans une continuité.
serge perraud
Anne Applebaum, Famine rouge — La guerre de staline en Ukraine (Red Famine), traduit de l’anglais (États-Unis) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, Folio Histoire n° 327, octobre 2022, 736 p. — 13,80 €.