Gestes graves et tendanciellement enjoués
Le décor est minimal ; il accueille les mouvements insensibles de la pièce. Sur un tapis de feuilles d’automne, en pleine lumière, on égrène des histoires de famille en proférant des répliques plus ou moins indépendantes, on parle de soi comme si l’on parlait d’autre chose. Même si l’on est sur un ton impersonnel, on passe vite à des confidences intimes, procédant d’une confiance salutaire.
Un étranger s’invite dans la discussion. Des situations anodines se révèlent paradigmatiques ; le lien entre les personnages est explicité, les relations s’instaurent de façon prototypique. A travers des répliques anodines, l’écriture de Lygre saisit ce qui nous fracture, ce qui nous détermine, cherchant à dire l’essentiel comme à voix contenue. On explore des sentiments intimes qui s’accommodent mal des mots dans lesquels ils s’affublent.
Les dialogues sont toujours rapportés par les personnages, dans une attitude qui peut sembler réflexive, mais qui consiste en une restitution d’échanges plutôt qu’en une communication directe. Après chaque élan de spontanéité, s’impose l’expression de la perte de nos illusions. On passe vite de la sérénité affichée aux ravages des abimes que nos paroles ouvrent. Des expressions se font si explicites dans leur simplicité qu’elles en deviennent impudiques.
L’un des protagonistes (le moi) a ainsi décidé de s’isoler, « d’être lui-même ». Cette quête est remise en question par ses interlocuteurs. On assiste à une méditation sur la place, celle qu’on occupe, celle qu’on prend dans l’esprit des gens.
A terme, les êtres se cherchent là où ils savent qu’ils ne se trouvent pas. Des répliques toujours intéressantes, y compris lorsqu’elles sont d’ironie répétitive, paraissant lancinantes. L’incision des procédés communs par lesquels nous nous échinons à vivre a toujours des effets ambivalents.
christophe giolito
Jours de joie
d’Arne Lygre
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
© Simon Gosselin
Avec Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal
Traduction française Stéphane Braunschweig, Astrid Schenka ; collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou ; collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel ; costumes Thibault Vancraenenbroeck ; lumière Marion Hewlett ; son Xavier Jacquot ; maquillages / coiffures Emilie Vuez ; assistante à la mise en scène Clémentine Vignais.
Au Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006 Paris 01 44 85 40 40
https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2022–2023/spectacles-22–23/jours-de-joie
Du 16 septembre au 14 octobre 2022, durée 2h20, du mardi au samedi 20h, le dimanche 15h.
Production Odéon-Théâtre de l’Europe, avec le soutien de l’Ambassade Royale de Norvège
avec le soutien du Cercle de l’Odéon
Jours de joie, d’Arne Lygre, traduction du norvégien par Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka, est publié à L’Arche éditeur, Paris, 2022.