Les sphères politiques et médiatiques passées au vitriol
Thomas Bronnec explore les coulisses du monde politique et le fonctionnement des “élites” françaises. Après Les Initiés qui dévoilait les arcanes de Bercy, En pays conquis qui mettait en lumière le pouvoir de l’ombre des conseillers, avec La Meute il détaille la relation complexe où se mêlent animosité et fascination entre le pouvoir politique et le pouvoir médiatique. Ce dernier est bousculé par les réseaux sociaux et l’émergence de mouvements dénonçant les violences faites aux femmes.
En route pour Luxeuil, François Gabory se réjouit. C’est reparti, seul contre tous ou presque. Élu président de la République en 2012, puis réélu, il a dû quitter la place après deux ans à la suite d’un référendum calamiteux qui a entraîné la France dans un Frexit. La droite, alliée de circonstance avec l’extrême-droite, gère une situation difficile. La gauche traditionnelle est exsangue.
Catherine Lengrand est la directrice de campagne de Claire Bontems après avoir été virée de L’Événement, le journal qu’elle dirigeait. Claire est jeune, moderne, ne fait pas vraiment partie du sérail et incarne une gauche plus radicale. C’est sa candidature qui a poussé Gabory à se relancer au nom d’une gauche sociale-démocrate.
Grégoire Castelli, son plus fidèle conseiller, l’informe de la circulation, sur un réseau social, du goût de l’ancien président pour les vidéos pornos, pour les toutes jeunes filles, révélant même l’existence d’un harem à Brégançon. Certes, François à une réputation de don Juan et cède facilement à la tentation quand il ne la suscite pas. Si, au départ, la diffusion de l’information était confidentielle, la rumeur, reprise sans cesse, enfle, d’autant que la presse et la télévision s’y intéressent. Mais comment détruire une rumeur quand… il y a un fond de vérité ?
Autour des deux candidats qui se connaissent car Claire avait été nommée secrétaire d’État par François, le romancier anime une belle série de personnages qui gravitent tant dans les sphères du pouvoir que dans celles des médias. Les rapports entre Claire et François sont particulièrement ambigus. Catherine Lengrand, sa directrice de campagne, est la sœur de l’ex-président. Elle a des comptes à régler depuis leur plus jeune âge. La mère, que François a mis en maison de retraire dès son accession à la charge suprême, a élevé seule les deux enfants, mais elle est à l’origine de cette rancune.
Grégoire Castelli, le conseiller qui reste fidèle, joue toutefois sa partition. Un groupe de femmes, ayant côtoyé plus ou moins intimement François, sont partie prenante dans les événements, soit pour alimenter les rumeurs, soit pour les dénoncer. Si les intervenants des réseaux sociaux, qui s’en donnent à cœur joie, restent dans l’ombre, les journalistes spécialisés sont mis en scène avec justesse mais sans complaisance.
Et Thomas Bronnec livre une peinture réaliste du monde politique, mettant en avant le fait que le pouvoir est pire qu’une drogue pour tout ce qu’il apporte. Il construit une intrigue fort bien troussée, riche en rebondissements et coups de théâtre, nourrie de ce qui fait l’actualité. La libération de la parole des femmes, l’égalité qui reste encore à conquérir, l’usage intensif et omniprésent des smartphones, le tribunal permanent instauré par ceux qui se cachent derrière le relatif anonymat des réseaux.
Il relève cette volonté, devenue sport national, de nuire gratuitement par des fakes news. Il montre que les instincts les plus bas de l’espèce humaine n’épargnent pas les “élites”. Il moque avec justesse la difficulté qu’éprouvent certains pour le choix qui favorisera la suite de leur carrière. Quel est le cheval sur lequel miser ?
Ainsi Thomas Bronnec décortique, analyse, dissèque avec un regard lucide et corrosif, le fonctionnement de la vie politique française, intégrant des thèmes d’aujourd’hui comme la mutation des médias par les réseaux sociaux, l’information torrentielle en continu, le buzz, la crédulité des masses prêtent à agir en meute avec un comportement irrationnel.
Un roman fulgurant, captivant, remarquablement documenté, jusqu’à un dénouement farouche.
serge perraud
Thomas Bronnec, La meute, Folio policier n° 968, septembre 2022, 418 p. – 8,40 €.