Charlotte Brontë, Shirley — Villette (1849–1853)

De l’art accom­pli de la chute

Après l’immense suc­cès de Jane Eyre (1847),  Char­lotte Brontë eut du mal à rebon­dir d’autant que sa vie devient dou­lou­reuse : Bran­well, Emily et Anne dis­pa­raissent en quelques mois. Elle devient la seule sur­vi­vante de la fra­trie d’écrivains.
Shir­ley paraît en 1849. En toile de fond de la lutte des ouvriers du tex­tile contre la méca­ni­sa­tion. Sur le devant de la scène appa­raissent deux héroïnes qui se dis­pute l’attention d’un pré­ten­dant : Robert Moore.

L’une est une riche héri­tière fou­gueuse, l’autre une douce orphe­line. Selon les his­to­rio­graphes lit­té­raires spé­cia­listes des Brontë, la pre­mière est ins­pi­rée d’Emily, la seconde d’Anne. Mais le roman — lais­sant resur­gir les héros des œuvres de jeu­nesse — pro­pose avant tout des por­traits de femmes à la recherche de leur place pour s’intégrer dans l’Angleterre patriar­cale de l’époque.

Villette paraît quatre ans plus tard. Et l’auteure remonte les sou­ve­nirs de son séjour à Bruxelles.  Élève puis pro­fes­seur, elle fut séduite de manière intel­lec­tuelle par celui qui don­nait des cours de rhé­to­rique dans l’établissement tenu par son épouse. Elle trans­pose cette expé­rience avec le per­son­nage de Lucy Snowe éprise d’un alter ago peu amène.
La roman­cière fait preuve ici de beau­coup d’humour caus­tique. Sa viva­cité garde la pureté de l’eau, là où jaillit à côté du réa­lisme un des nou­veaux codes de l’époque : le gothique. Mais Char­lotte Brontë le tord à sa guise dans cette fic­tion rem­plie d’ellipses jusque dans le dénoue­ment laissé ouvert.

Existe comme tou­jours chez l’auteure une part d’intouché dans ces livres-quêtes où les mots qu’il nous semble entendre mur­mu­rer res­tent comme des énigmes jusque dans des ques­tions à peine posées. La créa­trice montre que, sous l’apparence naï­veté de cer­tains per­son­nages, une veilleuse résiste contre les renon­ce­ments.
Elle montre aussi com­ment des yeux se couvrent de nuages qui per­sistent — par­fois pour rendre plus lumi­neux l’amour des écon­duites. Ce qui va de pair avec l’idée que, lorsque cer­tains soleils sont au zénith, ils amorcent déjà leur déclin et ne pro­tègent en rien des tourments.

Dans ces deux “chants” roma­nesques, jours et nuits savent sub­ti­le­ment aller et venir dans la proxi­mité comme dans la distance.

jean-paul gavard-perret

Char­lotte Brontë, Shir­ley — Vil­lette (1849–1853), trad. de l’anglais par Véro­nique Béghain et Domi­nique Jean. Édi­tion publiée sous la direc­tion de Domi­nique Jean. Avec la col­la­bo­ra­tion de Véro­nique Béghain et Laurent Bury. Pré­face de Laurent Bury, coll. Biblio­thèque de la Pleïade, Gal­li­mard, 2022, 1392 p.

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