Pierre Bordage & Olivier Roman, Les Fables de l’Humpur, — t.1 “Les Clans de la Dorgne”

Quand les hommes étaient deve­nus des dieux

Seur H’Will a été choisi pour deve­nir le nou­veau sei­gneur de l’animalité. Dans la com­mu­nauté des Grognes de Manac, sous la pro­tec­tion du comte de Luprat, Vehir est amou­reux de Troïa Orn. Il déplore cette tra­di­tion du grut, après les mois­sons, où les mâles ense­mencent les femelles dans l’enclos de la fer­ti­lité dans une ambiance orgiaque. À défaut d’être le seul, il veut être le pre­mier. Mais, il arrive trop tard, Orn est déjà cou­verte par un autre Grogne. De dépit, de rage, il s’enfuit. Il erre dans la forêt jusqu’à ren­con­trer Jarit, banni du clan depuis long­temps. Ce der­nier échappe aux pré­da­teurs, qui traquent ceux de son espèce, en uti­li­sant des herbes qui masquent son odeur. Dans une mai­son, il a trouvé le tré­sor des dieux humains : des livres, une arme. Il pousse Véhir à retrou­ver le Grand Centre et à rame­ner les dieux qui réta­bli­ront la paix et la jus­tice dans le pays.
Avec cette arme, le jeune Grogne ose bri­ser le tabou et occit les trois Hurles du comte Luprat, qui veulent le tuer. Ce der­nier a pro­mis, Leude Tia, sa sep­tième fille à Seur H’Will, pour être sa troi­sième épouse. Tia refuse cet ave­nir. Véhir, trahi, est empri­sonné au Cas­tel de Luprat avant d’être exé­cuté. Tia voit dans ce Grogne, qui a fait fi des dogmes, un signal et pense qu’il l’aidera à gagner sa liberté. Ainsi, elle contri­bue à son évasion…

Le scé­na­rio de la pré­sente série est l’adaptation du roman épo­nyme parut en 1999 chez J’ai Lu, en Mil­lé­naires, une col­lec­tion de grands for­mats. Pierre Bor­dage met en scène des hybrides emprun­tant à l’animal et à l’homme, une popu­la­tion mutante qui perd à chaque géné­ra­tion un peu de son huma­nité. Il construit son récit autour de cinq grandes caté­go­ries de mutants qui ont recréé une société de type féo­dal. Les loups (les Hurles) dominent les cochons (les Grognes) et les mou­tons (les Bêles). Les chats (Les Miaules) et les renards (les Glapes) res­tent indé­pen­dants et hantent les forêts à la recherche de proies iso­lées. Les com­mu­nau­tés de Grognes et de Bêles sont pro­té­gées par les Hurles. En contre­par­tie, celles-ci doivent four­nir à man­ger aux maîtres… de la viande, d’où la néces­sité d’une repro­duc­tion inten­sive, d’engraissement…
Un clergé a inventé une reli­gion axée sur les humains non mutants deve­nus des dieux. C’est ainsi qu’est né l’Humpur (L’Homme pur). Ce clergé dirige toute la société d’une main de fer. L’auteur accom­pagne cette muta­tion phy­sique d’une alté­ra­tion du lan­gage, avec des contrac­tions, des défor­ma­tions qui modi­fient les mots et les expres­sions. Il s’est livré à un tra­vail syn­taxique et lexi­co­gra­phique sub­stan­tiel. Tou­te­fois, la lec­ture des dia­logues demande une atten­tion soutenue.

Cette évo­lu­tion, cepen­dant, garde nombre de constantes humaines avec la supré­ma­tie de la force, les réseaux de domi­na­tion, l’exploitation des plus faibles, la résur­gence de reli­gions avec ses ana­thèmes, ses tabous, ses injonc­tions édic­tés par un clergé avide de pou­voir et de biens ter­restres.
On retrouve, dans le scé­na­rio de Pierre Bor­dage ses réflexions sur la dif­fé­rence, sur l’évolution des espèces, sur les mythes, leurs ori­gines et leurs effets sur les peuples.

Il faut saluer les des­sins d’Olivier Roman qui a su recréer des races ani­males en leur confé­rant une atti­tude humaine. La conjonc­tion entre huma­nité et ani­ma­lité est par­fai­te­ment ren­due. Il donne à ces faces ani­ma­lières la capa­cité d’afficher des expres­sions et de trans­mettre des sen­ti­ments. Il réa­lise une série de décors fort réus­sis, avec, dans ce pre­mier album, un retour vers un uni­vers rural.
Les cou­leurs de Cyril Vincent sont attrayantes et s’accordent par­fai­te­ment à l’atmosphère du récit, au monde dans lequel évo­lue cette micro-société. Sans vou­loir dimi­nuer son talent de colo­riste, la mise en cou­leurs de la cou­ver­ture, par Claude Guth, est superbe.
Les Édi­tions Soleil réa­lisent là un album de belle fac­ture avec un titre gravé, en double page inté­rieure de cou­ver­ture, et un superbe crayonné. Ce pre­mier tome de la série reste très fidèle au roman et en res­ti­tue toute la force créa­tive et nova­trice, la beauté et l’humanisme.

serge per­raud

Pierre Bor­dage (scé­na­rio), Oli­vier Roman (des­sin), Cyril Vincent (Cou­leurs), Claude Guth (cou­leur de la cou­ver­ture), Les Fables de l’Humpur, tome 1 : “Les Clans de la Dorgne”, Soleil, coll. “Cherche Futurs”, avril 2013, 48 p. – 14,95 €.

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