L’écriture poétique peut sembler facile : « il suffit de remuer la proie / on parle avec », mais le Erwann Rougé d’ajouter aussitôt « et ce n’est pas encore cela ». Il reste sans cesse « difficile à dire le plus rien ». Ce plus rien (ou presque) qui est tout. Car le poème navigue toujours dans des eaux opaques et plus l’auteur avance plus il sait qu’à l’intérieur de la langue rien ne se saisit, tout se transforme et devient autre. Dès lors, atteindre l’essentiel n’est pas simple. D’autant que « la feuille le souffle le blanc ».
Mais c’est sous ce blanc qu’il s’agit de caresser ou secouer « des ombres allongées en nous » avec toujours la même soif. Celle d’un presque impossible apparaître. Mais l’auteur comprend qu’à mesure que
« la couleur des murs est plus proche
longue lumière de vert d’ocre
la chaleur frappe les fissures
lime la brèche
pourtant c’est autre chose
que nous voyons quand tout se tait
c’est là à travers
comme une lueur muette
un bleu plus blanc qui se resserre
et s’avance plus loin
dans la proximité du souffle »
Erwann Rougé garde confiance dans cet insaisissable en ce tremblant séjour de la lumière jusqu’à ce mur où l’être se heurte. Il cherche un passage. Il cherche encore à la fois la clarté silencieuse qui vient casser le murmure et une senteur d’être pour rappeler la soif de naître, une respiration et une paix aérienne, brillante, transparente qu’il nomme « l’altitude du toucher ».
Le poème reste la recherche du secret dans son creux, sur le blanc de la page que la nuit hante. Il est banal (diront certains) de sortir de la pétrification du temps, de la précipitation de la poussière afin de retenir de la sensation vibrante, douce d’une simple émotion amoureuse. Mais ne justifie-t-elle pas de tout ? Même de nos constantes défaites. Secrètement liée à elles, elle leur résiste. Le poème est donc l’écho de cette fête du sensible. Ce dernier semble se dissiper en nuées. Mais il s’agit de les saisir, les ressaisir, de les retenir et de les apprécier afin de ne pas (trop) s’abîmer contre le mur rocher et désertique où l’on finira par butter.
jean-paul gavard-perret
Erwann Rougé, <i>Qui sous le blanc se tait</i>, éditions Potentille, 2013, 28 p. - 7,70 euros.