David Sarella arrive dans une RUCA : Restricted Underground Conflict Areas. Ce sont des zones enterrées où les belligérants peuvent se massacrer sans dommages pour l’environnement et les populations civiles. En tant qu’exovétérinaire, il est là pour calmer les monstres extraterrestres, éviter qu’ils ne deviennent incontrôlables et se retournent contre leurs employeurs.
Il a épousé Ula, la fille d’un couple de soldats à qui on a greffé de l’ADN de Nouveau-Viking, une race à l’agressivité poussée à l’extrême. Ils ont transmis ce capital à leur fille et, celui-ci, au fil du temps, influe de plus en plus sur le tempérament de la jeune femme. David, qui l’a épousée par amour, va tenter de trouver les ressources pour freiner ce besoin d’expériences extrêmes, de repousser les limites jusqu’à l’excès, de prendre du plaisir au combat, à l’odeur de la mort. Pour tenir en laisse ces gènes extraterrestres et la garder près de lui, il va devoir aller au-delà des traitements hormonaux. Puis, pour la faire revivre, il va rencontrer des situations effroyables, tenter des solutions hasardeuses, fréquenter des communautés improbables, se mettre en danger…
Avec Frontière barbare, Serge Brussolo anime un univers proche du nôtre tant en matière de barbarie, qu’en matière de sentiments passionnels. Il offre un véritable feu d’artifice d’actions et de situations novatrices. Ayant mis le turbo à son imagination, qui n’en n’avait pas besoin, il met en scène un déferlement de faits inédits, de personnages extravagants, multipliant les mutations humaines. Il mène nombre de réflexions sur les pulsions, sur la capacité de l’homme à aller au-delà de lui-même, sur son incroyable adaptabilité.
Il imagine de circonscrire les combats dans une zone sans danger pour le reste des populations, en ne rassemblant que des guerriers pressés d’en découdre et leurs armes. Il étend le choix de ces dernières, pourtant déjà immense, en faisant intervenir des ptérodactyles bombardiers qui lâchent des œufs de napalm, des rhino-artilleurs qui projettent des cornes causant d’énormes dégâts, des chevaux électriques, des moineaux aux ailes coupantes comme des rasoirs… Les batailles totales, sans freins, sont détaillées, avec une touche apocalyptique.
Comme à son habitude, il explore la quasi-totalité des aspects de son univers, jusqu’à prendre en compte, par exemple, le volet économique. Il invente le mal, les contraintes, mais propose le remède, les solutions. Il met en scène des communautés aux fonctionnements impensables, pointe la propension de l’homme à s’instituer maître d’un groupe, à s’autoproclamer gourou et mettre en place un système qu’envieraient les pires dictatures. Sa connaissance du corps et des organes humains, des fluides fabriqués par l’organisme, des hormones secrétés par les diverses glandes, lui permet de se régaler à les faire évoluer, passer par des états différents pour les effets mutagènes. Il ne se prive pas d’en énumérer les possibilités.
Serge Brussolo possède l’art délectable de désacraliser, de remettre à plat, dans un but utilitaire et trivial, ce qui est, a priori, incompréhensible et donc… divinisé. Il explicite le côté pratique, le sens utilitaire de croyances qui apparaissent extravagantes. Il revient, avec deux religieux particulièrement gratinés, sur les errements des dogmes, la recherche éperdue du pouvoir temporel, les contradictions entre les discours et les actes.
Cependant, en filigrane de cette débauche d’actions, de scènes science-fictionnesques et fantastiques, se dessine une chronique douce-amère sur le temps qui passe trop vite, sur la fragilité des souvenirs, sur l’attachement à ses proches, sur la vieillesse, sur la mort, sur le deuil. L’auteur illustre, aussi, l’évolution de deux membres d’un couple, évolution parfois très différente qui conduit soit aux concessions, soit à la séparation. Il expose ces nouvelles orientations sociétales comme l’abolition des sentiments tels que le chagrin, la nécessité de se comporter selon des modèles contraires à la nature humaine.
Avec ce roman, l’auteur signe un retour à cette littérature qui, passée au « creuset brussolien », est transmutée en un genre romanesque personnel qui combine tous ceux de l’imaginaire, de l’Anticipation à la Science-Fiction en passant par le Fantastique, et qui aboutit à une catégorie si particulière qu’elle est, encore aujourd’hui, inimitée, voire inimitable.
serge perraud
Serge Brussolo, Frontière barbare, Folio SF, mars 2013, 432 p. – 7,50 €.