Roxanne Bouchard, Nous étions le sel de la mer

Le Qué­bec profond

La roman­cière place son récit en Gas­pé­sie, un cadre bien sin­gu­lier que cette presqu’île du Qué­bec, bai­gnée par l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Elle a retenu ce ter­ri­toire sou­mis à un iso­le­ment éco­no­mique qui a vécu presque exclu­si­ve­ment des res­sources mari­times mais qui voit celles-ci dimi­nuer dras­ti­que­ment. Même si les pêcheurs ne se sont jamais enri­chis, ils pou­vaient en vivre alors que main­te­nant, c’est très dur.
Mais, cet iso­le­ment n’est pas qu’économique, il l’est aussi pour les popu­la­tions qui vivent un entre-soi même si les par­cours tou­ris­tiques attirent du monde, des tou­ristes qui ne font que pas­ser, ils sont si pressés…

En 1974, O’Neil Poi­rier est furieux quand un voi­lier vient l’empêcher, à l’aube, de par­tir pêcher. Lorsqu’il monte sur le bateau, il entend une longue plainte. Une femme accouche, seule.
De nos jours, Cathe­rine, à trente-trois ans, res­sent un mal-être et a perdu le mode d’emploi pour l’exaltation. Ses parents sont morts, elle vou­drait chan­ger, par­tir, sans pou­voir se déci­der. Une lettre, reçue récem­ment, lui donne rendez-vous à Caplan, dans un petit vil­lage de pêcheurs en Gas­pé­sie. Elle décide, après moult hési­ta­tions, de s’y rendre.
Elle se pré­sente comme Cathe­rine Day, une tou­riste. Elle fait connais­sance d’une popu­la­tion qui vit de plus en plus mal de la mer. Mais lorsqu’elle évoque le nom de Marie Garant devant le cafe­tier, celui-ci reste coi et finit par lui dire que c’est une per­sonne qui n’est pas bien vue ici.
Le ser­gent Joa­quim Mora­lès a obtenu sa muta­tion de Mont­réal dans la région et un mois de vacances. Il arrive seul, son épouse Sarah le rejoin­dra dans quelques jours. Or, dans la cour de sa future mai­son, il est attendu par le lieu­te­nant Mar­lène Forest, sa future cheffe, qui a un besoin urgent de ses com­pé­tences. Les poli­ciers sont débor­dés et Vital Bujold, un pêcheur, a remonté dans ses filets le corps d’une femme, celui de Marie Garant…

Dans ce vil­lage qui vit au rythme des marées, tout le monde connaît tout le monde. Aussi la décou­verte du cadavre vient cou­ron­ner une longue his­toire qui implique nombre de natifs. Ceux-ci forment une belle gale­rie de pro­ta­go­nistes pit­to­resques, aux pro­fils fine­ment conçus, mis en scène et déve­lop­pés dans le cadre d’une intrigue aux res­sorts fort sub­tils.
Mais le pre­mier per­son­nage reste la mer, cette mer-ressource qui foca­lise l’attention de tous. Elle est décrite avec amour même lorsqu’elle est cruelle et qu’elle vient pré­le­ver son dû. Et c’est elle qui rythme les vies, même les conversations.

Marie occupe une place de choix avec son aura de mys­tères, cette femme de la mer qui par­tait sur son voi­lier de longues années lais­sant des cœurs bat­tants der­rière elle. Cathe­rine Day, sa fille qui ne l’a pas connue et qui aurait voulu au moins lui par­ler, connaître peut-être son père, est l’héritière du bateau.
Le ser­gent Mora­lès, la cin­quan­taine dif­fi­cile, un cap qu’il a du mal à pas­ser, se retrouve l’étranger à qui per­sonne ne veut confier les ran­cunes et les pas­sions cachées qui sont, para­doxa­le­ment, le ciment de cette communauté.

Roxanne Bou­chard pro­pose une écri­ture fluide, repro­dui­sant les tics d’un lan­gage ver­bal haut en cou­leurs. Elle use d’images magni­fiques, de dia­logues pétillants pétris de poé­sie.
Un roman qui se fait très attrac­tif la mise en place ter­mi­née, avec une intrigue que l’on suit avec délices sur les pas de pro­ta­go­nistes fort singuliers.

serge per­raud

Roxanne Bou­chard, Nous étions le sel de la mer, édi­tions de l’aube, coll. “Noire”, août 2022, 320 p. – 19,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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