A partir de la corbeline, “herbe qui pousse au pieds des gibets quand le tripe s’y répand”, écrit l’auteur, celui-ci lance le cri lacérant des corbeaux. Leur présence est élargie aux corvidés, geais, choucas dans une perspective particulière.
Les mots décharnés, les vers parfois déchiquetés, les phrases arrachées au silence et caverneuses ouvrent un corpus en mémoire au fameux poème narratif ‘The Raven” d’Edgar Allan Poe qui contribua à sa notoriété.
Toutefois, le texte de Moulins est beaucoup moins macabre. Et le mot même de “corbeau” appelle bien d’autres noms d’oiseaux et frissons d’ailes. Si bien que la vie du mot oiseau lui-même jargonne en voyelles et consonnes “avec de l’encre en guise de fiente”.
Pour autant, celle-ci n’a rien de putride : elle devient la matière propice à des “ascendances assurées” et multiples.
D’où la richesse poétique d’un tel livre aussi surprenant que rare. Les poèmes qui articulent l’ensemble n’ont rien d’élégiaques ou de macabres. Ils deviennent des cantates.
Le vautour lui-même devient lyrique. Et cette libre volière crée la réverbération d’un monde qui fuse en toutes saisons.
Il ne s’agit pas ici de réduire le corbeau à des séjours funèbres mais lumineux. Ceux d’un univers se reconstruit non sans un certain décalage et une ironie. C’est un peu comme lorsque Mallarmé écrivait “Après avoir trouvé le néant j’ai trouvé le beau”.
Privé à priori de chant, le corbeau vocalise sa glose sans “gazouillis, pépiements ou sifflotis”.
Râclant sa gorge, il “braille des mots enroués” au-delà du jour, sous la lune et devient “blanc au profond de la nuit”. Le livre se et le réinvente page par page en convoquant des images qui, dans leur présence, investissent l’écriture et l’espace du livre là où perdure chez un tel oiseau “son aboiement de géomètre”.
Et c’est magique.
jean-paul gavard-perret
Jacques Moulins, Corbeline, monotypes d’Ann Loubert, L’atelier Contemporain, septembre 2022, 170 p. — 20,00 €.
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