Jacques Moulins, Corbeline

La blan­cheur du corbeau

A par­tir de la cor­be­line, “herbe qui pousse au pieds des gibets quand le tripe s’y répand”, écrit l’auteur, celui-ci lance le cri lacé­rant des cor­beaux. Leur pré­sence est élar­gie aux cor­vi­dés, geais, chou­cas dans une pers­pec­tive par­ti­cu­lière.
Les mots déchar­nés, les vers par­fois déchi­que­tés, les phrases arra­chées au silence et caver­neuses ouvrent un cor­pus en mémoire au fameux poème nar­ra­tif ‘The Raven” d’Edgar Allan Poe qui contri­bua à sa notoriété.

Toute­fois, le texte de Mou­lins est beau­coup moins macabre. Et le mot même de “cor­beau” appelle bien d’autres noms d’oiseaux et fris­sons d’ailes. Si bien que la vie du mot oiseau lui-même jar­gonne en voyelles et consonnes “avec de l’encre en guise de fiente”.
Pour autant, celle-ci n’a rien de putride : elle devient la matière pro­pice à des “ascen­dances assu­rées” et multiples.

D’où la richesse poé­tique d’un tel livre aussi sur­pre­nant que rare. Les poèmes qui arti­culent l’ensemble n’ont rien d’élégiaques ou de macabres. Ils deviennent des can­tates.
Le vau­tour lui-même devient lyrique. Et cette libre volière crée la réver­bé­ra­tion d’un monde qui fuse en toutes saisons.

Il ne s’agit pas ici de réduire le cor­beau à des séjours funèbres mais lumi­neux. Ceux d’un uni­vers se recons­truit non sans un cer­tain déca­lage et une iro­nie. C’est un peu comme lorsque Mal­larmé écri­vait “Après avoir trouvé le néant j’ai trouvé le beau”.
Privé à priori de chant, le cor­beau voca­lise sa glose sans “gazouillis, pépie­ments ou sifflotis”.

Râclant sa gorge, il “braille des mots enroués” au-delà du jour, sous la lune et devient “blanc au pro­fond de la nuit”. Le livre se et le réin­vente page par page en convo­quant des images qui, dans leur pré­sence, inves­tissent l’écriture et l’espace du livre là où per­dure chez un tel oiseau “son aboie­ment de géo­mètre”.
Et c’est magique.

jean-paul gavard-perret

Jacques Mou­lins, Cor­be­line, mono­types d’Ann Lou­bert, L’atelier Contem­po­rain, sep­tembre 2022, 170 p. — 20,00 €.

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