Ingénieur agronome (comme Houellebecq qu’il n’aimait guère) et spécialiste des maladies du bananier, Robbe-Grillet a su par la littérature trouver un monde qu’il était le seul à pouvoir créer — aussi bien en littérature comme au cinéma -, d’abord avec Resnais, à défaut d’Antonioni , puis en maître de cérémonie de ce qui, jusque-là, ne se contait ni se montrait comme il le fit.
Animé d’une sorte de folie qui le fait étranger au monde, Robbe-Grillet mis au fait des camps d’extermination, arrive ensuite sur un champ ruiné pour reconstruire le monde selon un ordre qui ne tient plus par le récit totalitaire et déroulant qui prétend embrasser le monde.
De retour et dès le Régicide, son véritable premier livre (qu’il publiera bien plus tard), celui qui n’est pas né coincé dans la littérature déplace l’être et démonte le récit. Et ce, moins par (prétendue) objectivité qu’hallucination, là où une fable est toujours cachée sous la fable première.
Chez Robbe-Grillet en effet, tout est vertige — parfois surréaliste — même si cela ne fut pas compris à l’époque. D’autant que, intelligent, l’auteur a su enrober sa création sous une théorie parfois d’autorité qui cache la vérité profonde de ses livres pour en brouiller les pistes.
Généreux, animateur — à côté de Jérôme Lindon — des Editions de Minuit, Robbe-Grillet fut le propagandiste non seulement de son oeuvre mais de celles et ceux de cette maison dans leurs différentes stratégies.
Benoît Peeters renouvelle la vision de l’auteur, montre ce que ce dernier cachait sous ses textes “théoriques” qui furent souvent des cache-fumées. Aventurier du langage et du monde il en éprouve les limites sous l’égide implicite de Kafka en sa mise en évidence l’opacité du monde et le labyrinthe des êtres.
En même temps que son essai, Benoît Peeters publie ses entretiens avec l’auteur. Ils témoignent de l’intelligence jamais inconséquente d’un écrivain qui ne se paie jamais de mots et pour préciser parfois ce qui fait son travail : “les éléments en trop et les éléments en moins sont extrêmement importants dans mon œuvre” écrit-il non pour fermer la question mais la laisser ouverte.
jean-paul gavard-perret
Benoît Peeters,
– Robbe-Grillet. L’aventure du nouveau roman, Flammarion, Paris, 2022, 430 p. — 22,90 €.,
– Réinventer le roman (entretiens), Champs Essais — Flammarion, septembre 2022, 318 p.- 12,00 €.