Le désir de la ligne. Henri Matisse dans les collections Doucet (exposition)

 

« Il faut tou­jours recher­cher le désir de la ligne, le point où elle veut entrer ou mou­rir. » Cette cita­tion d’Henri Matisse sert de fil conduc­teur à l’exposition pré­sen­tée du 2 juin au 9 octobre au Musée Angla­don — Col­lec­tion Jacques Dou­cet d’Avignon.

Sous le titre “Le désir de la ligne. Henri Matisse dans les col­lec­tions Dou­cet”, l’exposition ras­semble une cen­taine d’œuvres sur papier, des­sins, estampes, livres d’artistes ayant été acquis par le couturier­ col­lec­tion­neur : por­traits et auto­por­traits, nus, oda­lisques, dan­seuses, gouaches décou­pées…
Elle met en lumière une part moins connue et pour­tant essen­tielle de son œuvre, en par­ti­cu­lier son œuvre impri­mée, et s’attache à mon­trer com­ment chez cet immense colo­riste le des­sin est tou­jours pré­sent, actif.

Le com­mis­sa­riat de l’exposition est assuré par Éric de Chas­sey, direc­teur géné­ral de l’Institut natio­nal d’histoire de l’art (INHA) et Lau­ren Laz, direc­trice du Musée Angla­don. L’exposition fait l’objet d’un cata­logue, dont les com­mis­saires assurent la codi­rec­tion scien­ti­fique, ras­sem­blant des contri­bu­tions de spé­cia­listes de l’artiste et du col­lec­tion­neur, ainsi que de l’histoire de l’estampe moderne.

 

Henri Matisse (1869–1954), Plats avant et arrière de André Rou­veyre, Apol­li­naire, Paris : Rai­sons d’être, 1952, [n.p.], ill. Paris, Ins­ti­tut natio­nal d’histoire de l’art, © Suc­ces­sion H. Matisse

Henri Matisse et Jacques Doucet

Au sein du Musée qui doit l’essentiel de ses col­lec­tions à Jacques Dou­cet (1853–1929), l’exposition éclaire le dia­logue entre Matisse (1869–1954) et le célèbre couturier­ col­lec­tion­neur pari­sien. Dans une période-clé où la créa­tion artis­tique, foi­son­nante, se renou­velle, ces deux per­son­nages des avant-gardes se regardent, s’admirent, se rêvent. Dou­cet col­lec­tionne très tôt des œuvres de Matisse : dès 1910, il acquiert Le Géra­nium, un tableau de la même année, à un moment où le peintre n’est pas encore véri­ta­ble­ment reconnu. Dou­cet confie à son conseiller André Sua­rès : « En quit­tant le XVIIIe siècle, j’ai sauté sur Matisse ».

Pas moins de cinq tableaux de Matisse rejoin­dront le célèbre Stu­dio Art déco de la rue Saint-James à Neuilly-sur-Seine, où Jacques Dou­cet ras­semble sa col­lec­tion per­son­nelle. Pois­sons rouges et palette (1914, New York, MoMA), pour ne citer que celui-ci, y côtoie d’autres œuvres majeures de l’avant-garde artis­tique du tour­nant du siècle : Picasso, Braque, Bran­cusi …
Paral­lè­le­ment, Dou­cet fait l’acquisition de plu­sieurs des­sins de Matisse et sur­tout de plu­sieurs dizaines de ses estampes. Il veut créer une biblio­thèque spé­cia­li­sée ras­sem­blant des livres, des fonds d’images et des archives qui rendent compte de la créa­tion et de sa cri­tique. Ce sera la Biblio­thèque d’Art et d’Archéologie, conçue comme un outil de tra­vail pour les his­to­riens de l’art. L’Etat fran­çais déploiera par la suite ce legs pré­cieux en en fai­sant l’Institut natio­nal d’histoire de l’art. C’est de ce fonds, ainsi que de la Biblio­thèque lit­té­raire Jacques Dou­cet, que pro­viennent la plu­part des œuvres com­po­sant l’exposition.

Les 4 grandes par­ties de l’exposition
· 1900 - 1910 :
les toutes pre­mières années

Au tout début du XXe siècle, Matisse s’intéresse à la gra­vure. Lui qui a com­mencé à peindre il y a déjà plus d’une décen­nie s’ouvre un nou­veau champ de recherches. Avec une série de nus, d’autoportraits, cette pre­mière par­tie donne à voir com­ment Matisse expé­ri­mente ce nou­veau medium, ten­tant une mul­ti­pli­cité de tech­niques, d’approches, de formes, et cher­chant com­ment tirer parti de ces décou­vertes. La ligne, très clas­sique ou très fauve, guide sa main.
· Les années 1910, années de guerre

En 1914, Matisse n’est pas mobi­lisé sur le front, alors que ses fils le sont. Il veut se rendre utile, sou­te­nir les per­sonnes mobi­li­sées et leurs familles. Une série de por­traits de ceux et celles qui sont res­tés à l’arrière consti­tuera son effort de guerre. Pour cela, la tech­nique de l’estampe, facile à repro­duire et peu coû­teuse à ache­ter, à offrir, fait mer­veille en une période où il est dif­fi­cile de déblo­quer des fonds. Elle prend une dimen­sion sociale. Matisse donne en sous­crip­tion sa série d’estampes. Les col­lec­tion­neurs — dont Jacques Dou­cet– achètent. Le fruit de la vente est offert aux familles des sol­dats mobilisés.

· Les années 20, années niçoisesC’est l’après-guerre, les années de bon­heur, de contem­pla­tion, sous le soleil de Nice où Matisse s’est ins­tallé. Une période où les femmes prennent une grande impor­tance dans son œuvre, ainsi que les motifs orien­taux. C’est le temps des belles oda­lisques, dont la Grande oda­lisque à la culotte baya­dèreL’odalisque au magno­lia, des œuvres très déco­ra­tives, très sédui­santes. Un tra­vail sur le fond et la forme, qui vise au plai­sir des yeux. Les années bon­heur.· Les années 30 — 40,
et les papiers décou­pés
Alors que l’inquiétude monte sur fond de ten­sions inter­na­tio­nales, puis de guerre, Matisse découvre le poten­tiel des images en mou­ve­ment. Le cinéma va par­ti­cu­liè­re­ment influen­cer sa créa­tion. Matisse cherche à cap­ter la flui­dité, à cap­tu­rer le mou­vant pour créer ce qu’il nomme une « ciné­ma­to­gra­phie de la sen­sa­tion». Pen­dant les années de guerre, il est très malade, subit une lourde inter­ven­tion et est alité plu­sieurs mois. Dans l’incapacité de peindre, il lit, et c’est une forme de renais­sance. Animé d’une éner­gie créa­trice peu com­mune, il se rap­proche des mots. Il des­sine et grave pour Les Fleurs du mal de Bau­de­laire, Pasi­phaé de Mon­ther­lant, en intro­dui­sant l’énergie d’une écri­ture cur­sive, qui vient pro­pul­ser lit­té­ra­le­ment les images et le sens.Il se pas­sionne pour le papier, qu’il va décou­per. Il va désor­mais « des­si­ner avec des ciseaux », en com­po­sant des col­lages de papiers décou­pés. C’est une autre approche de la ligne, colo­rée, musi­cale. En 1947, avec les com­po­si­tions ryth­mées de l’album Jazz, Matisse « fait chan­ter une sorte de musique en couleur ».

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