Un conte à toile de fond étonnante
Monde futuriste ou simple anticipation de quelques décennies, les BeKa et Munuera livrent un conte émouvant autour de différents aspects de l’amour. Avec Cyrano, ils mettent en avant les freins que la disgrâce physique peut engendrer, bloquer des sentiments. Un être laid, au regard de certains critères, peut-il être aimé pour ce qu’il est?
C’est aussi les liens affectifs entre une mère et son enfant. Doit-on obligatoirement aimer sa progéniture ou des situations plus complexes ne peuvent-elles pas se faire jour ? D’autant que les scénaristes imaginent un dénouement particulièrement retors.
Dans le monde d’Iséa, les serviteurs sont tous des robots. C’est une petite fille solitaire qui se réfugie dans Cyrano de Bergerac, un film que son amie Tal, qu’elle ne connaît que par écrans interposés, lui a recommandé.
Elle est si intéressée par l’histoire qu’elle oublie l’heure de rentrer en classe. Aussi, quand elle arrive, l’institutrice veut l’interroger au tableau. Mais Tilio s’interpose et récolte un zéro.
Iséa, de retour à la maison, retrouve Debry, sa nounou-robot, pour son plus grand bonheur. Elles se portent un amour réciproque au grand dam de la mère biologique. C’est cette dernière qui décide que sa fille est assez grande pour se passer d’une nounou et qui renvoie Debry.
Tilio rejoint Iséa et peine à lui avouer qu’il est Tal, qu’il a utilisé un filtre photo pour passer pour une fille car, comme elle, il se sent rejeté. Mais, face au désarroi d’Iséa qui a perdu Debry, il décide de partir avec elle pour retrouver le robot…
Pourquoi une machine suffisamment perfectionnée pour accomplir des tâches humaines sophistiquées ne pourrait-elle pas donner et recevoir une forme d’amour ? Un enfant peut rechercher l’amour sans le recevoir et reporter ce besoin essentiel sur d’autres.
À travers ce récit où se mêle une quête courageuse, une recherche ponctuée de péripéties, les scénaristes déploient avec une sensibilité aiguisée différents registres de relations amoureuses.
Le dessin est assuré par l’immense José Luis Munuera qui donne vie à ces robots, réussissant à leur faire exprimer des sentiments par une gestuelle appropriée. Il construit une fillette et son petit compagnon en quelques traits efficaces, mettant en scène un Cyrano de belle facture.
La mise en couleurs est signée de Sedyas qui, avec des teintes primaires, restitue les atmosphères et suscite bellement les émotions vécues par les protagonistes.
Avec ce récit, qui s’inscrit dans une série de Contes familiaux et modernes, les auteurs redéfinissent ce que peut être l’amour.
Touchant et séduisant !
serge perraud
BeKa – Caroline Roque et Bertrand Escaich – (scénario), José Luis Munuera (scénario et dessin), Sedyas (couleurs), Les Cœurs de ferraille — t.01 : Debry, Cyrano et moi, Dupuis, coll. “Tous Publics”, juin 2022, 72 p. – 13,50 €.