Jean Cagnard écrit des pièces de théâtre, de la poésie, des romans et des nouvelles. Ces genres, ces « gestes d’écriture » traversent ainsi son dernier texte édité chez espaces 34, Animaux extraordinaires.
En effet, il y raconte des bribes de vie d’une famille, celle des parents et des enfants ou plus précisément fait parler le fils –narrateur, qui porte le nom élémentaire d’homme à la différence du fils de la pièce : Pour une fois que tu es beau ( 2018). La mère est morte à quatre-vingt-neuf ans.
Ainsi autour de cet événement gravitent non pas des personnages constitués mais un entourage familier : une fratrie nombreuse de sept frères et soeurs, un père, des proches… La matière dramatique s’élabore en récits brefs dont l’ouverture évoque l’absence des sept enfants à la cérémonie d’adieux mais aussi en traits poétiques, jaillis d’une ligne /vers:
« J’avais apporté trois poèmes et je me tenais droit » ( p. 14)
« Le premier poème je le dis pour me donner du courage et de l’élan
« Le second je le dis pour les flammes et l’embrasement
« Le troisième fut pour la légèreté et le voyage » ( p. 15)
Tout se dit en fragments ponctués par la didascalie Temps qui fait se reposer la voix : l’avis nécrologique dans la presse locale qui ne mentionne pas les enfants selon l’usage habituel ou encore les moments où l’on s’interroge pour savoir qui des deux, du père ou de la mère, partira le premier.
La vie s’égrène avec des naissances, la neige à Noël, les années qui passent, la sortie au supermarché… Et survient La disparition de la mère, que des coups de téléphone ont annoncée. Le dialogue alors enfin pourra avoir lieu au centre du texte, à partir de la page 19, celui de l’Homme –enfant et de la Femme-mère et dont le comble sera le monologue de plusieurs pages de cette dernière, à l’instant « d’entrer dans les flammes ».
Passage compact où la crémation, l’incinération s’avouent comme un parti pris poétique, loin de celui du pourrissement de la charogne. Jean Cagnard écrit ce que l’on ne peut voir, une nekyia contemporaine, une fournaise du langage, un « gros shoot de poésie ». ( p. 36). Il lui faut décrire la chimie du brasier funéraire, de ces quatre-vingt dix minutes ultimes et flamboyantes !
En vérité, la vie et la mort sont des disparitions, des effacements, des métamorphoses réincarnées. Le fils peut alors se souvenir de la dernière fois où les enfants ont vu la mère lors de d’un séjour écourté avec le père .Tous deux des « animaux extraordinaires », des « écritures prodigieuses ».
Celles d’un texte qui porte la vie et la mort d’un couple, à l’encre des mots poétiques, qui montrent à voir et des silences.
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marie du crest
Jean Cagnard, Animaux extraordinaires, Editions espaces 34, 2022, 60 p. — 13,00 €.
On peut écouter Jean Cagnard dire le début de son texte sur le net ( publication sonore de l’édition espaces 34). Son théâtre fourni est en partie publié chez espaces 34. L’auteur a reçu, en 2018, le Grand prix de Littérature Dramatique pour sa pièce Quand toute la ville est sur le trottoir d’en face.