John Verdon, Ne réveillez pas le diable qui dort

Un polar au thème novateur

Dave Gur­ney se remet dif­fi­ci­le­ment de la conclu­sion de sa pré­cé­dente enquête. Sa ten­dance natu­relle à se replier sur lui-même n’a fait que s’aggraver et, après six mois, il réduit au mini­mum le temps qu’il passe avec les autres. La demande de Connie Clarke, une jour­na­liste de ses amies, ne secoue guère son apa­thie. Elle le sol­li­cite pour jeter un œil de pro­fes­sion­nel sur le pro­jet uni­ver­si­taire de sa fille Kim Cora­zon, pro­jet rela­tif aux familles des vic­times d’assassins res­tés introu­vables. Cette série docu­men­taire, inti­tu­lée Les Orphe­lins du meurtre, a plu à RAM-TV, une chaîne de télé­vi­sion qui veut en faire une émis­sion phare. Mais, ajoute Connie, Kim à de gros sou­cis avec son ex-petit ami : elle retrouve des élé­ments mena­çants dans son appar­te­ment, bien qu’elle ait fait chan­ger les ser­rures. Dave accepte du bout des lèvres. Il jet­tera un œil comme elle lui demande puis, basta, devoir rem­pli, ser­vice rendu ! Seule­ment Kim ne lui laisse pas le temps de réflé­chir et l’embarque, mal­gré lui, dans son sillage.
La jeune fille avait le choix entre un tueur can­ni­bale et un meur­trier à mis­sion socié­tale qui vou­lait éra­di­quer les effets nocifs de la cupi­dité. Elle a retenu ce der­nier qui, sous l’appellation Le Bon Ber­ger, a tué six per­sonnes, il y a une dizaine d’années, et n’a jamais été démas­qué. Dave, dont l’instinct d’enquêteur se réveille, se retrouve au cœur d’un maël­strom avec ren­contres diverses, étude des dos­siers d’enquête de l’époque, recherche d’éléments sur ce meur­trier.… Chez Kim, il assiste à des faits étranges. Suite à une bru­tale cou­pure de cou­rant, il des­cend à la cave où se trouve le comp­teur, une cave vide qu’il a déjà visi­tée. Une marche cède, il tombe et dans un état second entend une voix qui mur­mure à son oreille : « Ne réveillez pas le diable qui dort. »

Ce livre est le troi­sième roman de John Ver­don tra­duit par les édi­tions Gras­set. Après l’époustouflant 658 (2011) et le remar­quable N’ouvre pas les yeux (2012), l’auteur pro­pose une nou­velle enquête de son héros favori et… unique (pour l’instant). Il appuie son his­toire sur un thème peu, pour ne pas écrire pas, uti­lisé tant dans la lit­té­ra­ture que dans l’actualité : le sort et le deve­nir des proches des vic­times d’un meur­trier quand celui-ci reste inconnu. En eff­tet, même dans le cas où l’assassin est iden­ti­fié, per­sonne ne s’intéresse à la vic­time, sauf s’il s’agit d’un people, ni à ses proches qui res­tent dans l’anonymat le plus total face à leur deuil.
Mais, le pro­pos nova­teur de l’auteur n’est pas aussi mani­chéen qu’il paraît au pre­mier abord. Il étend, grâce à l’un de ses prin­ci­paux per­son­nages, son pro­pos à d’autres situa­tions aussi dif­fi­ciles à vivre comme la dis­pa­ri­tion d’un être cher, dont on reste sans nouvelles.

Si John Ver­don appré­cie par­ti­cu­liè­re­ment de fouiller la psy­cho­lo­gie de ses per­son­nages, leurs états d’âme, leur moi pro­fond, leurs moti­va­tions, il en fait une nar­ra­tion que l’on suit avec inté­rêt. Dans ce domaine, les rela­tions entre le héros et son épouse sont remar­quables. L’auteur pré­sente deux per­sonnes que rien n’a pré­paré à vivre constam­ment ensemble. Le cadre choisi ne fait pas l’unanimité. L’un adore la cam­pagne, alors que l’autre n’est pas spé­cia­le­ment réjouit par la vue des champs, des cou­leurs prin­ta­nières ou autom­nales.
Le roman­cier conçoit une intrigue aux mul­tiples rami­fi­ca­tions, qui tissent une toile à la décou­verte pas­sion­nante. Il sait jouer avec tous les arti­fices de la nar­ra­tion pour faire mon­ter une ten­sion jusqu’à une conclu­sion paroxys­tique. Au fil de son intrigue, John Ver­don dis­tille un humour acide, se livre à de mul­tiples réflexions tou­chant à la société des Etats-Unis, comme la chaîne de télé­vi­sion dont il fait une des­crip­tion peu flat­teuse. Il règle quelques comptes, par roman inter­posé, pré­sent­qnt les agents du FBI comme un ramas­sis de bureau­crates, « …une bande de connards arro­gants, poli­ti­cards et obsé­dés du contrôle. » Les pro­fi­leurs ont droit, pour leur tra­vail : « …aux conclu­sions on ne peut moins scien­ti­fiques enve­lop­pées dans un jar­gon de spé­cia­listes. », les­quels spécialistes-experts sont assai­son­nés avec : « …une bande d’étiqueteurs auto­pro­cla­mée qui ont réussi à for­mer un petit club lucra­tif. » Il brosse, ainsi, des por­traits d’une criante vérité.

Ne réveillez pas le diable qui dort, paru en 2012 aux USA, ne déçoit pas. Dans un registre dif­fé­rent, il est aussi pas­sion­nant que les romans pré­cé­dents. Mal­gré le niveau fixé par son pre­mier livre, John Ver­don conti­nue de pro­gres­ser. Un auteur talen­tueux dont on attend, déjà, le pro­chain livre avec impatience.

serge per­raud

John Ver­don, Ne réveillez pas le diable qui dort, tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Phi­lippe Bon­net et Sabine Bou­longne, Gras­set, coll. « Grands For­mats », mars 2013, 528 p. – 21, 50 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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