Dave Gurney se remet difficilement de la conclusion de sa précédente enquête. Sa tendance naturelle à se replier sur lui-même n’a fait que s’aggraver et, après six mois, il réduit au minimum le temps qu’il passe avec les autres. La demande de Connie Clarke, une journaliste de ses amies, ne secoue guère son apathie. Elle le sollicite pour jeter un œil de professionnel sur le projet universitaire de sa fille Kim Corazon, projet relatif aux familles des victimes d’assassins restés introuvables. Cette série documentaire, intitulée Les Orphelins du meurtre, a plu à RAM-TV, une chaîne de télévision qui veut en faire une émission phare. Mais, ajoute Connie, Kim à de gros soucis avec son ex-petit ami : elle retrouve des éléments menaçants dans son appartement, bien qu’elle ait fait changer les serrures. Dave accepte du bout des lèvres. Il jettera un œil comme elle lui demande puis, basta, devoir rempli, service rendu ! Seulement Kim ne lui laisse pas le temps de réfléchir et l’embarque, malgré lui, dans son sillage.
La jeune fille avait le choix entre un tueur cannibale et un meurtrier à mission sociétale qui voulait éradiquer les effets nocifs de la cupidité. Elle a retenu ce dernier qui, sous l’appellation Le Bon Berger, a tué six personnes, il y a une dizaine d’années, et n’a jamais été démasqué. Dave, dont l’instinct d’enquêteur se réveille, se retrouve au cœur d’un maëlstrom avec rencontres diverses, étude des dossiers d’enquête de l’époque, recherche d’éléments sur ce meurtrier.… Chez Kim, il assiste à des faits étranges. Suite à une brutale coupure de courant, il descend à la cave où se trouve le compteur, une cave vide qu’il a déjà visitée. Une marche cède, il tombe et dans un état second entend une voix qui murmure à son oreille : « Ne réveillez pas le diable qui dort. »
Ce livre est le troisième roman de John Verdon traduit par les éditions Grasset. Après l’époustouflant 658 (2011) et le remarquable N’ouvre pas les yeux (2012), l’auteur propose une nouvelle enquête de son héros favori et… unique (pour l’instant). Il appuie son histoire sur un thème peu, pour ne pas écrire pas, utilisé tant dans la littérature que dans l’actualité : le sort et le devenir des proches des victimes d’un meurtrier quand celui-ci reste inconnu. En efftet, même dans le cas où l’assassin est identifié, personne ne s’intéresse à la victime, sauf s’il s’agit d’un people, ni à ses proches qui restent dans l’anonymat le plus total face à leur deuil.
Mais, le propos novateur de l’auteur n’est pas aussi manichéen qu’il paraît au premier abord. Il étend, grâce à l’un de ses principaux personnages, son propos à d’autres situations aussi difficiles à vivre comme la disparition d’un être cher, dont on reste sans nouvelles.
Si John Verdon apprécie particulièrement de fouiller la psychologie de ses personnages, leurs états d’âme, leur moi profond, leurs motivations, il en fait une narration que l’on suit avec intérêt. Dans ce domaine, les relations entre le héros et son épouse sont remarquables. L’auteur présente deux personnes que rien n’a préparé à vivre constamment ensemble. Le cadre choisi ne fait pas l’unanimité. L’un adore la campagne, alors que l’autre n’est pas spécialement réjouit par la vue des champs, des couleurs printanières ou automnales.
Le romancier conçoit une intrigue aux multiples ramifications, qui tissent une toile à la découverte passionnante. Il sait jouer avec tous les artifices de la narration pour faire monter une tension jusqu’à une conclusion paroxystique. Au fil de son intrigue, John Verdon distille un humour acide, se livre à de multiples réflexions touchant à la société des Etats-Unis, comme la chaîne de télévision dont il fait une description peu flatteuse. Il règle quelques comptes, par roman interposé, présentqnt les agents du FBI comme un ramassis de bureaucrates, « …une bande de connards arrogants, politicards et obsédés du contrôle. » Les profileurs ont droit, pour leur travail : « …aux conclusions on ne peut moins scientifiques enveloppées dans un jargon de spécialistes. », lesquels spécialistes-experts sont assaisonnés avec : « …une bande d’étiqueteurs autoproclamée qui ont réussi à former un petit club lucratif. » Il brosse, ainsi, des portraits d’une criante vérité.
Ne réveillez pas le diable qui dort, paru en 2012 aux USA, ne déçoit pas. Dans un registre différent, il est aussi passionnant que les romans précédents. Malgré le niveau fixé par son premier livre, John Verdon continue de progresser. Un auteur talentueux dont on attend, déjà, le prochain livre avec impatience.
serge perraud
John Verdon, Ne réveillez pas le diable qui dort, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Bonnet et Sabine Boulongne, Grasset, coll. « Grands Formats », mars 2013, 528 p. – 21, 50 €.