L’avènement de ce qui échappe
Pierre-Yves Soucy montre ce que devient le donner à voir lorsque l’homme quitte l’obscur pour le dépasser ou tenter d’y parvenir à travers ce que les mots et les images ne font pas ou mal. Il évoque la force du graphite qui découpe la page, ouvre sa surface vers une profondeur.
Preuve que le noir crée alors la lumière lorsque qu’une composition trouve une configuration singulière, unique, presque parfaite en une communauté d’émotions.
Olivier Schefer (avec lequel Pierre-Yves Soucy s’entretient à la fin du livre) rappelle que, pour son compagnon en un tel ouvrage, “les traits, les traces, les grilles et les lacis, les empâtements au noir, les entailles du papier, la division de l’espace ou son resserrement, rien de cela ne quitte tout à fait le monde, quand bien même il s’agit de l’égarer et de s’égarer en chemin.“
Le geste devient ainsi le guide de l’écriture comme de l’art. Elle crée la connaissance et la pensée comme si, soudain, quelque chose dépassait l’intellect. Car si l’esprit dicte la main, la main dicte autant l’esprit.
L’organe de la pensée, c’est la main comme l’avait déjà rappelé souvent Valère Novarina. Elle origine l’écriture et ce, non seulement dans le graphisme manuel. A n’en pas douter, l’ordinateur produit le même effet.
L’extension unique du corps qu’est la main soumise au travail de l’œil “porte” la parole au support en l’habillant d’une langue, celle de signes noirs qui donnent sens au virginal.
La trace, pénètre toujours dans la page, l’écran. Elle forme, réunit, rassemble. Pierre-Yves Soucy inscrit la dialectique du noir et du blanc qui nous renvoie à notre finitude, à notre mortalité transcendée par chaque acte de faire. Et l’auteur de citer à Ingeborg Bachmann pour le prouver.
Dans Ce qui est vrai il écrit : “Tu veilles et guettes ce qui est juste dans l’obscurité, /tourné vers l’issue inconnue.” Est mis en exorde la travail en quelque sorte du corps dans la fabrication de la pensée.
jean-paul gavard-perret
Pierre-Yves Soucy & Olivier Schefer, Vertiges de la main, La Lettre Volée, 2022, 80 p. — 18,00 €.