Anne-France Abillon porte en des lieux qui échappent à la société. C’est d’ailleurs une idéee très belle de croire qu’il existe une région de l’humain que la société n’atteindra jamais et que les installations de l’artiste proposent. Celle-ci offre la possibilité expérimentale de questionner le réel autour de la fragilité et du lien par diverses stratégies : reflet, répétition, insert, regard par exemple sur des toiles d’araignée que l’artiste file à son tour. Pâleur des couleurs, importance du noir et blanc, des enchevêtrements proposent des avènements particuliers. Surgit la rencontre toujours à venir et qui a eu lieu. Dans un passé éternel, un passé sans présent. Mais comme si la création laissait à sa créatrice une place dans un présent possible.
Un franchissement du seuil des apparences est proposé. Il touche aux profondeurs de l’être. L’intime est dehors — sans pour autant être exhibé. Les occurrences de l’apparition du paysage créent des rythmes. Ils battent avec une régularité métronomique ou dans une sorte d’affolement. Régularité et cassure, présence et absence : le dévoilement est sans cesse déplacé. Il crée des « virtualités » qui n’en sont pas. S’ouvre alors le transfert d’une visibilité apprise vers quelque chose d’inconnu. Cette énigme repose la question de la présence au monde et — en conséquence — celle de l’art. Il faut se laisser glisser dans le mystère de la chambre noire : sentir l’insoutenable proximité de l’image qui y est renversée. Chaque image est le propre vertige de sa courbe — mais quel centre, un jour, saura fixer son cercle ?
Anne-France Abillon, ” Tisseuses du monde, « Art et Territoire » , Chapelle Saint-Anne à Athis de L’Orne (Suisse), www. Aertigo.com Du 1er juin au 1er septembre.
Entretien avec Anne-France Abillon réalisé en mars 2013
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière de l’aube qui entre dans la maison. Au lever du soleil il y a une jubilation.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je me souviens comme si c’était hier de mes rêves d’enfant et chemine avec eux essayant de les porter le plus loin possible. Je rêvais de comprendre le sens de la vie, de faire une école d’art, de vivre une grande histoire d’amour et de prendre soin des animaux.
A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne suis pas quelqu’un qui renonce facilement. A l’adolescence, je crois avoir renoncé à devenir vétérinaire.
D’où venez-vous ?
D’où on vient, c’est le grand mystère de la vie, je ne sais pas !
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La capacité d’émerveillement, la rigueur, le goût du raffinement et du beau, le désir de tout savoir sur la vie et l’amour du vivant.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Les certitudes et à une certaine période l’approbation de mon entourage.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un grand plaisir, la promenade des chiens au caractère indiscipliné et indépendant, je leur dois beaucoup de paysages inattendus.
Un petit plaisir ?
Le thé.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ce qui me porte, une certaine vision existentielle avec un rapport au réel essentiellement de l’ordre de la méditation poétique. Il m’est important de rendre sensibles et visibles le silence et la présence qui prévalent à mes rencontres avec la nature et le paysage. J’aime renvoyer à une géographie essentielle de la vie et offrir un dialogue entre paysage intérieur et extérieur. J’appréhende la forme comme un défi lancé à notre manière de percevoir les choses et invite celui qui regarde à inverser son point de vue, à un retournement intérieur. J’aime faire mienne la citation de Hölderlin : « il faut habiter poétiquement la terre ».
Où travaillez vous et comment ?
En Normandie, avec les champs puis le fond de la baie du Mont Saint-Michel en vis-à-vis de mon atelier. A l’origine, un désir de corps-à-corps avec la nature jusqu’à l’éprouver dans sa présence m’a conduite dans les hauteurs himalayennes à accomplir de longues marches solitaires. De cette rencontre silencieuse avec les paysages est né un dialogue intime et continu. C’est dans cette émotion issue de l’immersion que je puise mon inspiration pour que persiste quelque chose de plus durable que la fragilité de l’instant qui se donne, pour fixer l’instant unique d’émerveillement. Un dialogue se met en place entre l’inspiration initiale, le hasard et la confrontation au principe de réalité. J’accompagne alors le processus de mise en forme, et la magie du travail me conduit à des propositions imprévues.
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
Le « silence » de la nature.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Cinq méditations sur la beauté » de François Cheng.
Quel film vous fait pleurer ?
« Trois couleurs : Bleu » de Krzysztof Kieslowski et « La vie est belle » de Frank Capra.
Quand vous vous regardez dans un miroir, qui voyez-vous ?
Quelqu’un en devenir.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A toutes les personnes auxquelles je n’ose pas me confronter.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les grands espaces, pour leur capacité à me donner le sentiment d’expansion et de paix intérieure.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Alberto Giacometti, Aurélie Nemours, Mark Rothko, Pierrette Bloch, Bob Verschueren, pour en citer quelques-uns. Ils me font voyager dans un univers où le temps, un instant, se suspend, me laissant sans voix, contemplative.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Mes amis les plus proches pour un moment de partage.
Que défendez-vous ?
Un monde où l’être humain est au service du vivant.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ? Cette phrase me fait sourire par sa justesse. J’adore ce que la philosophe Arouna Lipschitz en a fait : « Aimer c’est donner ce qu’on a à quelqu’un qui en veut, dans la réciprocité de l’envie de se faire plaisir », tout un autre programme qui me donne vraiment envie. Etre un sujet amoureux en relation est un art à développer.
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Un oui à la vie quelle que soit la question posée !
Présentation et entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, juin 2013.
Un peu d’Anne-France ! Un bel entretien qui permet de s’en approcher un peu. En même temps elle est si intègre que tout ce qu’elle dit ici, il me semble l’avoir déjà perçu lorsque je suis en sa présence.
Merci Anne-France pour ta profondeur d’âme et ta réflexion nourrissante sur la perception de tes paysages normands au travers de le conscience de la fragilité de l’instant présent vécu avec tes plus fidèles compagnons à quatre pattes.
Bravo Virginie pour votre beau merci … C’est si rare …
Est-il possible de vous écrire ici ?