Le dernier ensemble de Laurent Bourdelas, s’il “ demande prose ”, n’en exclut pas — bien au contraire — le poème. Ce corpus sorcier et sourcier cultive le lyrisme particulier de l’auteur. Celui-ci reste dompteur de dragons et allumeur d’ombres. Certes, il rappelle combien nous ne sommes faits que de cendres. Elles restent moins éteintes que couvant encore le feu. Et si l’auteur affirme : « Ce n’est pas facile : il faut se débarrasser de l’inutile / des scories », les cendres dont il est question ici représentent ce dont l’auteur se dépouille afin de défricher « les autres dehors (qui) dansent en farandoles ».
Il n’a cesse d’adapter ses textes à la lumière. Orienté vers le visible, il voudrait toujours pencher vers les jardins de Giverny de Monet mais ce n’est pas facile. Néanmoins, sous forme de journal intime déguingandé, l’auteur semble s’amuser de son propre rôle ou de celui qu’on lui fait jouer. Pour ses admiratrices « demies nues sur son passage », il « parlera aux oiseaux, transformera la merde des chiens on or ». Preuve que l’auteur sait cultiver l’ironie sur son propre sort.
Mais la cruauté du monde n’est jamais refoulée. Car s’il y a Giverny ‚il y a les guerres où coulent les « jus d’hommes qui meurent dans la boue ». Les uniformes et la couleur des victimes changent mais le goût de la puissance des bourreaux reste le même. Ce sont eux qui embarquent le monde sur leur nef des fous. Celle-ci qui se transforme en tombeau. Néanmoins, face à cet état du monde, Bourdelas espère. Il demeure — en dépit de l’âge — « L’enfant sauveur », le passeur de gué capable de rester à l’écoute du macro– comme du microcosme : du chant des baleines au « flot tumultueux » des fourmis.
Entre ciel et océan et à mesure que la crasse du temps s’épaissit, la machine poétique fonctionne encore. Et si les hommes sont blessés par le monde, Bourdelas le solitaire tente sinon de les soigner du moins de les sauver du naufrage qu’on leur concocte sourdement par ses exercices de révolte. La poésie passe sans cesse du constat au chant d’espérance. C’est la manière de tordre le temps lui-même en torche et de s’accrocher aux nuages. La poésie travaille afin de sortir l’être des puits qui l’aspirent et sont plus profonds que les fosses océaniques.
Pour nous et se sauver une nouvelle fois, Bourdelas s’accroche aux pétales des fleurs. Elles sont dans Ashes bien plus que des métaphores et restent le symbole d’un sentiment extatique de la vie. Leurs taches sourdes et mouvantes s’élèvent ou s’abaissent en divers courants de couleurs. Ils permettent à l’espace vital non seulement d’affleurer mais de s’aérer.
jean-paul gavard-perret
Laurent Bourdelas, Ashes, L’arbre à Trucs, Vicq sur Breuil, 2013, 94 p.
Merci pour cette lecture pertinente.