Daniel Pozner, Trois mots

Des Variables aléa­toires aux mots pro­vi­soi­re­ment fichés

L’ œuvre de Daniel Poz­ner est inégale mais tou­jours inté­res­sante. Avec le temps elle gagne en inten­sité, concen­tra­tion et ques­tions.  Trois mots  le prouve : « Com­prendre ? Un poème ? D’ailleurs il n’y a rien à com­prendre. La forme ? De l’ultra-concentré. Com­ment se tenir, entre l’essentiel et l’insaisissable ? La matière ? Du rêve, du quo­ti­dien. Dic­tion­naires, vais­selle, amours, bébés, sou­ve­nirs, lec­tures, errances… Les jours fuient ou s’additionnent ? » Le fond lui-même n’est qu’une sur­face aussi étrange que fami­lière. Quant à ce que l’auteur nomme « le ton », il est aussi dis­cret et tran­chant puisqu’il s’enveloppe dans le seul titre Trois mots. On retrouve ici les jeux de langue chers à l’auteur mais de manière moins « cras­seuse », plus dia­phane. Bref, le lan­gage s’affine. Et s’affirme. Moins par le souffle que par sa cou­pure, son rythme cassé. La plé­ni­tude de l’idéalisme est une nou­velle fois broyée. L’âme se retrouve la tête cou­pée sur l’échafaud du verbe. Ce qui est sans doute moins ennuyeux pour elle que pour un corps.
Daniel Poz­ner conti­nue de désos­ser le roman­tisme et de réduire le poé­tique selon Hegel au peu qu’il est. Pour autant, l’auteur ne reven­dique pas un maté­ria­lisme à tout crin. Il fait mieux. S’amuse. S’amuse sérieu­se­ment. Il y a là moins de colère et d’ombrage que d’ironie, moins de réci­ta­tif qu’une fresque en ruine. Déli­cieu­se­ment en ruine. Mais cer­tai­ne­ment pas dans le goût anglais du XVIIIème siècle. La poé­sie ici se nour­rit volon­tiers sur les décharges, elle brosse les cendres, essuie les cra­chats. Le drame s’y fait « digest » et les homo­sexuels miso­gynes envers leur sexe. En sort un effet stu­pide et joyeux fruit d’une déci­sion poé­tique. Tout est tendu et têtu. Le mys­tère du texte tient à son plai­sir déses­pé­rant, à ses embou­tis­sages qui refusent les abou­tis­se­ments. Sous effet éru­di­tion et canu­lar, Lau­tréa­mont n’est pas loin. Mais en ellipses et laps. Le texte en devient une gour­man­dise. Soit elle se dévore, soit elle écœure et se jette par ceux qui l’attaquent sans motif appa­rent — sinon que — pour ses détrac­teurs :  là où il y a de la gêne il n’y a pas de plai­sir. Ce qui dans la chose intel­lec­tuelle est une vue de l’esprit.

Aux mau­vais cou­cheurs et aux lec­teurs idoines, rap­pe­lons que Poz­ner se veut « le prince sang-rire à l’armure de la gri­mace d’or ». Mais cela risque d’exciter leur mau­vaise humeur. Pour notre part, nous res­te­rons « addict » à cette poé­tique déguin­gan­dée. Nous nous « shoo­shoo­tons » à une lit­té­ra­ture aux éner­gi­santes raides bulles. D’autant que Poz­ner reste par essence l’anti-BHL. Sa parole rote pour ne jamais para­der en nar­ra­tion d’exploits aussi per­son­nels que sup­po­sés. L’œuvre est dans la suite par­faite de ce que Beckett nomma si astu­cieu­se­ment ses « foi­rades » — et dont il se garda bien de pré­ci­ser le sens pre­miers…. ?
Nous espé­rons que Daniel Poz­ner appré­ciera cet hom­mage. Il sait qu’une cohorte d’aficionados — sai­sie par La danse (vau­de­ville, vanité) - La Porte,  Le géo­graphe est ailleurs ‚  / une ville dont /  — Pas­sage d’encres, Les ani­maux de Camin - Der­rière la salle de bains — ne se lasse jamais de ses fables bar­bares avec leurs fibromes esthé­tiques, leurs salis­sures de bave sur les miroirs nar­cis­siques et leurs relents âcres.
Ces miasmes nau­séa­bonds font que la lit­té­ra­ture vit. Ou pas. Certes, sans eux elle demeu­rera en odeur de sain­teté mais ne res­tera qu’un « pare-fumet », un ersatz.

jean-paul gavard-perret

Daniel Poz­ner, Trois mots, Cou­ver­ture de Claude Vial­lat, Edi­tions Le Bleu du ciel, 33230 Cou­tras, 80 p. - 12,00 €.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>