Quand les affaires de Bureau et de famille s’entremêlent
C’est avec un grand plaisir que l’on retrouve, pour la troisième fois, ce duo d’héroïnes dans l’Angleterre de l’Après-Seconde Guerre mondiale. Si elles sont bien différentes elles se complètent de belle manière. Iris Sparks, de milieu modeste, a eu un passé tumultueux et un présent encore très agité alors que Gwendolyn Bainbridge se retrouve veuve de guerre dans une famille qui la méprise quelque peu, ayant épousé le fils unique, l’héritier pour qui les parents avaient prévu une autre épouse.
Parce qu’elles se sont retrouvées, à deux ou trois reprises, dans des situations fort risquées, Iris fait prendre des cours d’autodéfense à Gwendolyn auprès de son ancien formateur dans ce domaine.
Harold, le beau-père de cette dernière, rentre plus tôt que prévu d’Afrique et veut absolument inscrire son petit-fils dans un établissement scolaire réputé pour la dureté de la discipline. Gwen est contre cette décision, tout comme l’était son mari mort au combat. Il l’avait spécifié dans une lettre.
Cependant, Harold fait valoir qu’il est le tuteur officiel de son petit-fils, sa bru étant considérée comme inapte à une autorité parentale.
Lors du dîner qui réunit la famille le patriarche à une tenue ignominieuse, forçant, par exemple, l’enfant de six ans à boire un grand verre de vin. Dehors, au prétexte de tailler une haie, un homme suit la scène avec des jumelles.
Le psychiatre de Gwen la considère encore fragile et ne veut pas intervenir pour qu’elle retrouve une autorité sur son fils.
Au Bureau du mariage idéal, par contre, les affaires deviennent florissantes. Les associées sont toutefois déstabilisées lorsqu’un homme originaire du Nyassaland, une colonie anglaise en Afrique, vient s’inscrire. Mais elles rebondissent vite.
Voulant convaincre Harold de renoncer à sa décision, Gwendolyn monte dans la Wraith alors qu’il part pour son club, un lieu qu’il fréquente très assidument depuis son retour. En chemin, ils tombent dans un traquenard. Même si elle met en œuvre ce qu’elle a appris en matière d’autodéfense, elle est assommée et ils sont enlevés…
Pour chaque enquête, les deux jeunes femmes paient de leur personne, n’hésitant pas à se mettre dans des situations risquées, voire dangereuses. Et cette fois encore, c’est le cas. Elles sont confrontées, séparément, à un client qui s’intéresse un peu trop aux affaires de la famille Bainbridge, à un meurtre et à un double kidnapping, celui de Gwen et de son beau-père.
Iris va devoir mobiliser ses relations peu légales pour sauver la vie de son associée et amie.
Avec ce duo, la romancière, qui place l’action de ce livre en août 1946, explore cette période encore très troublée où les traumatismes restent profonds, où la vie quotidienne est difficile car les manques se font cruellement sentir, les manques de produits et le manque de ceux qui ne sont pas revenus des combats.
Dans cette aventure, l’auteure intègre un part d’autodéfense toujours nécessaire et revient sur la colonisation menée par l’Angleterre, ses excès, la façon dont les peuples et les ressources ont été exploités au profit de la Couronne. Elle raconte également la lutte que doit mener une mère pour pouvoir guider le destin de son fils face à des conventions, des fondements erronés. C’est aussi la peinture de la place de la femme dans la société, la liberté conditionnelle où elle évolue.
Autour de ce duo épatant, la romancière anime une belle galerie de personnages, remettant en scène des protagonistes déjà rencontrés et installant de nouveaux venus que l’on peut supposer retrouver dans de prochains épisodes.
Avec une écriture fluide, des dialogues pétillants, Allison Montclair glisse beaucoup d’humour et donne un récit passionnant, n’économisant pas les rebondissements.
serge perraud
Allison Montclair, Règlements de comptes à Kensington (A Rogue’s Company) traduit de l’anglais par Anne-Marie Carrière, Éditions 10/18, coll. “Polar” n° 5754, avril 2022, 384 p. — 8, 20 €.