Celle qui ne regrette rien : India Leire — entretien

India Leire crée des sculp­tures qui per­mettent à leurs diverses matières de prendre leur plein essor. Y est garanti l’obtention de formes qui débordent du socle tra­di­tion­nel d’une telle tech­nique par des sol­li­ci­ta­tions sen­so­rielles créées au sein de l’appropriation plas­tique. Un tel tra­vail est impec­cable.
Se lais­sant faire par l’inspiration et sans tirer de plan préa­lable sur la comète, la créa­trice entre en matière et façonne, sous cou­vert d’une appa­rence de réa­lité, une muta­tion du réel avec un ins­tinct de sur­vie uto­pique et de fable iro­nique.
La sculp­ture devient l’acte de com­men­ter libre­ment le monde, de réduire les grandes choses en petites. L’inverse est vrai aussi.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’impatience de l’imprévu d’une jour­née, l’inconnu de ce qui peut se dérou­ler dans l’atelier, la course au bord du canal le matin en me réveillant quand le soleil perce le ciel et me caresse dou­ce­ment les joues pen­dant que les gens se réveillent petit à petit.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je les vis, j’ai rêvé depuis mon enfance d’être artiste, je ne savais pas quelle forme cela allait prendre mais je savais que je vou­lais créer.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé au regret. Je ne regrette rien, j’attaque ma vie avec une grande éner­gie, je donne tout pour qu’il n’y ait pas de place pour le regret.

D’où venez-vous ?
Je viens de Mar­gate, une petite ville au bord de la côte est anglaise, d’une beauté incroyable, des grandes plages avec peu du monde où on peut être uni avec la nature.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Le sens de la joie de vivre, je viens d’une famille qui sait s’amuser. Mon héri­tage serait proche de ces paroles des Monty Phy­thon : “Life is a piece of shit, when you look at it, always look on the bright side of life”.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Tra­ver­ser Paris à vélo est un petit plai­sir qui atté­nue le stress de cette grande ville.

Com­ment définiriez-vous votre pra­tique de la sculp­ture ?
Un mélange entre l’animal et la bota­nique qui s’entrechoquent pour créer des chi­mères, une forme de célé­bra­tion  natu­relle du monde.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
L’image du jar­din de mon grand-père. C’était un jar­din anglais fabu­leux, rem­pli de mas­sifs cou­verts de fleurs de toutes les cou­leurs, des che­mins où l’on pou­vait se perdre. L’image de ce jar­din ne sor­tira jamais de mon esprit.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Alice au Pays des Mer­veilles”, un livre qui m’inspire tou­jours aujourd’hui dans mon tra­vail de sculp­ture grâce à son ima­ge­rie oni­rique et absurde. L’idée d’un monde paral­lèle m’a séduit.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Un peu de tout, j’ai grandi ber­cée de musique mais j’adore ce qui fait dan­ser, ce qui a une émo­tion. Ma musique pré­fé­rée en ce moment est Fleet­wood Mac.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Eloge de L’ombre” de Tani­zaki Juni­chiro. Un livre japo­nais qui m’a beau­coup ins­piré dans son appré­cia­tion de l’esthétique de ce pays.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je ne suis pas une grande ciné­phile, je suis trop dans le mou­ve­ment ; sauf les films noirs de Lau­ren Bacall et Hum­phry Bogart, mais je vais rare­ment au cinéma.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une fille comme tout le monde, qui a par­fois peur ou par­fois confiance en elle mais prête à se battre contre les épreuves de la vie.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À per­sonne, j’ai tou­jours osé sans attendre néces­sai­re­ment de réponse. J’ai déjà écrit à ceux qui m’ont ins­pi­rée, pour les remercier.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Gruis­san — c’est un vil­lage au bord de la mer dans le Lan­gue­doc Rous­sillon avec une lumière très par­ti­cu­lière et une nature sau­vage. J’ai passé tous mes étés depuis ma nais­sance là-bas, à explo­rer ce coin, pur, sau­vage, entouré par une nature qui pour­rait trou­ver sa place dans le film “La Pla­nète sau­vage” de René Laloux. C’est un coin qui n’a pas encore été détruit par le tou­risme et où j’ai beau­coup de sou­ve­nirs, d’amour et d’inspiration.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Bar­bara Hep­worth est l’artiste dont je me sens la plus proche. Ses sculp­tures me parlent, leur pureté, le fait aussi qu’elle soit une femme sculp­teure. Je suis allée voir son ate­lier à Saint Ives en Conwall, GB au bord de la mer, avec ses grandes sculp­tures dans son jar­din, impo­santes, poé­tiques et avec une har­mo­nie très par­ti­cu­lière avec leur envi­ron­ne­ment. Je pour­rais pas­ser des heures devant ses oeuvres.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un voyage, loin, pour explo­rer un autre monde, une autre culture, une autre façon de voir le monde.

Que défendez-vous ?
La nature et l’écologie — j’essaie de suivre un rythme de vie qui détruise le moins autour de moi et d’ouvrir une conver­sa­tion à tra­vers de mon art.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela serait un amour triste. Je dirais plu­tôt que l’amour, c’est don­ner quelque chose qu’on a à quelqu’un qui le veut.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Oui, c’est l’ouverture de chaque porte, oser prendre des risques, confron­ter la peur est la chose la plus impor­tante que l’on puisse faire. La chance n’existe pas, nous créons nos oppor­tu­ni­tés et cela com­mence par un simple oui.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com,  le 24 juin 2022.

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