Une dame prépare une valise, hésite, plie, complète, regarde deux petits enfants se chamaillant autour d’un ballon, au-dehors. Sa famille prépare un gâteau pour son anniversaire, pour ses soixante ans. Quand tous sont réunis, elle ne souffle pas les bougies, ne le goûte même pas et annonce qu’elle s’en va.
Elle débâche un vieux combi VW et part au volant, seule. C’est sur une aire de stationnement qu’elle rencontre Camélia, une jeune femme et son bébé de huit mois qui vivent dans une caravane. La jeune femme s’attache à elle et Josy lui rend de menus services.
Sa fille et son fils la harcèlent au téléphone, ne comprenant pas son geste, sa décision. C’est Camélia qui lui parle de son employeuse où elle fait quelques heures de ménage. Celle-ci a fondé le CVL — Club des Vilaines Libérées. D’abord réticente, sous la pression affective de la jeune femme, elle se rend à la soirée.
Une ambiance chaleureuse l’attend et une rencontre très inattendue va bouleverser sa nouvelle vie. Mais…
Avec cet album, les auteures abordent avec tact et délicatesse des sujets qui restent peu traités, peu abordés, presque tabous : la crise de la soixantaine et ses ruptures, l’évolution de l’orientation sexuelle. Partir, tout quitter ! Elles évoquent le bouleversement qu’une telle décision provoque dans une cellule familiale où le temps a figé les situations, désagrégé les sentiments.
Elles mettent en lumière l’incompréhension face à ce départ, à la rupture d’un quotidien devenu mécanique. Mais, si l’envie de vivre autre chose est si forte qu’elle amène cette séparation, la nouvelle vie n’est pas si facile à construire. Nouer de nouvelles relations n’est pas immédiat.
Ingrid Chabbert interroge quant à la perception d’une telle décision prise par une femme alors que, pour un homme, un tel choix semble admis, voire compris. Des détails piquants sont mis en avant comme cette cigarette que Josy a gardé pendant longtemps, pour ce jour spécial, elle qui avait arrêté de fumer lorsqu’elle attendait son fils.
Le graphisme d’Aimée de Jongh, à la fois synthétique et réaliste, caricatural et naturaliste, restitue magnifiquement les émotions, tant par les regards, les mimiques que la gestuelle. Elle privilégie les personnages, leur comportement tant en retenue qu’en expansion. Une mise en images très réussie montrant sans fausse pudeur des femmes proches de la soixantaine, des mères, de vrais corps de femmes et non ces corps dénaturés à coups de séances de fitness, retravaillés à la chirurgie esthétique.
Ingrid Chabbert et Aimée de Jongh signent un album touchant, abordent avec une belle sensibilité des situations assez communes, mises en images de façon fastueuse.
serge perraud
Ingrid Chabbert (scénario et dessins) & Aimée de Jongh (dessins et couleurs), Soixante printemps en hiver, Dupuis, coll. “Aire Libre”, mai 2022, 120 p. – 23,00 €.