Klaus Staeck et Gerhard Steidl, Beuys Book

Beuys pho­to­graphe

Peintre, illus­tra­teur et sculp­teur né à Kre­feld en Alle­magne, Beuys est blessé en 1941 pen­dant son ser­vice mili­taire. Six années plus tard, il étu­die la sculp­ture à Düs­sel­dorf. En 1957, il s’intéresse aux écrits de Stei­ner et Nova­lis ainsi qu’à la “concep­tion éten­due de l’art” et à la “sculp­ture sociale”. Il rejoint le mou­ve­ment Fluxus en 1961. Il est connu pour ses ins­tal­la­tions et ses per­for­mances. En tant qu’enseignant, il exerce une forte influence au sein de l’Académie de Düs­sel­dorf mais, après avoir été démis de ses fonc­tions parce qu’il accueillait des étu­diants refu­sés par “nume­rus clau­sus”, il fonde à Ber­lin l’Université libre inter­na­tio­nale pour la créa­ti­vité et la recherche inter­dis­ci­pli­naire.
Ins­piré par les tra­vaux de Rudolf Stei­ner, il tente d’exprimer la com­plexité de la vie en accen­tuant l’expressivité des objets qu’il repré­sente. Employant des tech­niques et des maté­riaux inédits, il réa­lise des œuvres dont le style s’affranchit des cloi­son­ne­ments aca­dé­miques. Il par­ti­cipe au mou­ve­ment éco­lo­giste. La pho­to­gra­phie n’est pas la par­tie la plus connue et recon­nue de son œuvre. Elle est pour­tant essen­tielle pour Beuys. Elle ajoute aux autres arts « une dimen­sion cachée » comme il l’écrit dès 1980 lors de l’exposition de ses “100 Fron­tal views de Joseph Beuys”. Cette dimen­sion, cette épais­seur invi­sible prend chez lui une dimen­sion crois­sante même lorsque ce n’est pas lui qui se pho­to­gra­phie mais Maggs qui — comme dans cette pre­mière expo­si­tion — décide de faire du por­trait de Beuys une série. En 1979, après avoir assisté à l’exposition rétros­pec­tive au Gug­gen­heim de New York, Maggs décida de se rendre en Alle­magne pour pho­to­gra­phier Joseph Beuys. Lors de la séance, l’artiste conserve une atti­tude sta­tique vou­lue. Maggs prit plu­sieurs cen­taines de clichés.

Ces 100 vues furent expo­sées en 1980 à la Power Plant, Centre d’art contem­po­rain à Toronto, puis à plus petite échelle au Goethe Ins­ti­tut. A la Power Plant, ils furent expo­sés en ligne, le der­nier tirage lais­sant deux espaces vides à la fin, points de sus­pen­sion invi­sibles indi­quant que l’on pour­rait conti­nuer. L’effet reste sai­sis­sant. De loin, on pour­rait pen­ser à une dupli­ca­tion de la même image. Il convient de scru­ter les por­traits pour cap­ter, par­fois, d’insensibles dif­fé­rences. Beuys est immo­bile tan­dis qu’Arnaud Maggs lui demande de déca­ler légè­re­ment son cha­peau de feutre afin de mieux sai­sir son regard. L’artiste reste impas­sible mais est loin de demeu­rer pas­sif. Le jeu malin de Beuys attise l’envie de voir la dif­fé­rence, les détails. Le regar­deur ne peut donc reste lui-même pas­sif devant l’impassible afin de com­prendre qui est l’autre. De plus, cha­cun peut s’estimer artiste dans une telle démarche afin de déce­ler cet “infra mince” où se déploient sub­ti­lité et richesse des dif­fé­rences et de déter­mi­ner com­ment l’émotion peut sourdre de l’innombrable.

Toute sa vie, Beuys a pho­to­gra­phié ou a fait pho­to­gra­phier son tra­vail ou lui-même afin que ses per­for­mances sur­vivent. On retrouve par exemple l’artiste vêtu d’un man­teau de four­rure accom­pa­gné d’un che­val d’un blanc étin­ce­lant sur une scène obs­cure dans une reprise du mythe d’Iphigénie afin d’exprimer la liberté et la créa­ti­vité des êtres. Ses pho­tos res­tent mar­quées d’une vision qui témoigne de la nos­tal­gie et la volonté de créer. Il retient toutes les pho­tos dou­lou­reu­se­ment belles : à savoir uto­piques donc pour lui poli­tiques.
Les pho­to­gra­phies réunies dans Beuys Book offrent un cor­pus magis­tral et ency­clo­pé­dique. Les prin­cipes de base et les points essen­tiels de la démarche de l’artiste s’y retrouvent. Cer­taines pho­tos rap­pellent les œuvres majeures du créa­teur comme sa légen­daire sculp­ture inti­tu­lée “Kopf” (tête réa­li­sée en 1961 et fon­due en 1976). Cette Tête à la bouche entre-ouverte par la souf­france et aux yeux exor­bi­tés est fixée à l’extrémité du canon consti­tuant la sculp­ture. Avec le man­teau de four­rure de Beuys et un sac porté des années durant, cette tête est une sorte de « tom­beau ». Les pho­to­gra­phies sont donc des conte­neurs d’histoires. Elles montrent diverses reliques (et bien plus) d’actions, des sculp­tures, objets usuels et arte­facts his­to­riques uti­li­sés par Beuys ainsi que sa manière de les et de se trans­for­mer à tra­vers la force de la lumière. Elles res­tent le contexte et l’atelier d’une œuvre d’exception qui fut un labo­ra­toire d’idées et de formes.

jean-paul gavard-perret

Klaus Staeck et Gerhard Steidl, Beuys Book, Steidl, Londres, 2012, 700 p. -, 55 £.

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