Claire Boitel montre comment le langage nous sépare du réel. Il devient la tentative de rejoindre le monde des profondeurs par les mots. Ceux-ci, mieux que désigner des choses, pointent des fantasmes ouvrant notre séparation tragique avec ce que nous passons notre vie à vouloir refouler.
D’où une écriture singulière attachée au presque innommable. Ce que les écrivains sophistes biaisent, une telle auteure le redresse. Chez elle, le sens ne se limite pas au courant d’un fleuve mais à la pression de ses rives.
Et suivant celle qu’elle suit, elle en manipule la tension. Seuls les imbéciles ne comprennent pas l’ “ironie” que suscite un tel langage où les “paroles gelées” (Rabelais) se mettent à bouillonner au-delà de l’harmonie qui est toujours de surface. Claire Boitel en cherche une qui est plus insondable.
De l’auteure, vient de paraître La nuit est toi, éditions Fables fertiles (2022).
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La fin d’un rêve.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
À huit ans, je voulais être présidente de la République. J’avais répondu cela dans une rédaction, à la fameuse question : Quel métier veux-tu faire plus tard ? Ma vieille institutrice m’avait alors promis qu’elle voterait pour moi… Mais elle est morte, ce doit être pour cela que vous ne m’avez pas à la tête de l’État ! (Ce fut mon seul rêve d’enfant.)
À quoi avez-vous renoncé ?
À rien.
D’où venez-vous ?
Mon sang est corse, breton, normand et parisien. J’ai les yeux bleus mais mes globules rouges sont tout petits, comme ceux des natifs du bassin méditerranéen.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
La culture. Mes parents ayant été au tout début de leur vie tous les deux professeurs de français latin grec, ils avaient une vaste bibliothèque. Par ailleurs, mon grand-père paternel, Maurice Boitel, a fait une carrière de peintre professionnel, je vivais parmi les tableaux.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Jouer au ping-pong.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivain(e)s ?
J’écris à l’instinct, comme une lionne si elle savait écrire.
Comment définiriez-vous votre féminisme ?
J’ai la chance de vivre une époque où je peux oublier que je suis une femme et où il m’est loisible de me penser avant tout être humain.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Un château lugubre en Angleterre, lors d’un voyage avec mes parents — j’avais trois ans et demi.
Et votre première lecture ?
Le premier livre dont j’ai le souvenir m’a été lu par ma grand-mère, c’était “Sajo et ses castors”. Chaque fois qu’elle me le lisait, je pleurais.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Principalement de la musique dite classique, notamment parce que j’ai une formation pianistique, mais je suis ouverte à tout, jusqu’à un « bruitage » réussi.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
En règle générale, je n’aime pas relire les livres. Exception faite pour les contes, d’un inépuisable symbolisme (Andersen, Grimm, Perrault, Lewis Carroll), et pour quelques poètes, qui atteignent ce niveau.
Quel film vous fait pleurer ?
“Les Lumières de la ville” de Chaplin.
Quand vous vous regardez dans un miroir, qui voyez-vous ?
Jamais la même personne.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À ma gardienne d’immeuble.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Grand Nord.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Ceux qui oubliant tout le reste sont des passionnés, prêts à prendre des risques.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un beau bouquet de roses rouges.
Que défendez-vous ?
Je ne défends pas grand-chose, à mon niveau, mais par exemple, il m’est arrivé de m’interposer dans la rue entre un parent violent et son petit enfant. L’enfance est sacrée pour moi, comme pour le Christ d’ailleurs.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Je suis en total désaccord avec la négation de la première partie de la phrase : si, on a, mais ce qu’on a, si merveilleux soit-il, ne correspond pas forcément à ce qu’attend l’autre. C’est l’éternelle Babel.
Que pensez-vous de celle de Woody Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Que c’est un bon départ dans la vie. Comme au Monopoly, si on veut gagner, il faut accepter toutes les opportunités sans se poser de question.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Ce que j’avais pensé du dernier livre de Jean-Paul Gavard-Perret.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 10 juin 2022.