Quand l’humanité est livrée à tous les extrémismes
Dans une pentalogie dystopique, Enki Bilal imagine un bug numérique à l’échelle de la planète et de son satellite. Après un chaos mondial qui voit la chute des piliers de la civilisation née d’Internet et de ses réseaux, la déliquescence des grands États, l’auteur propose une reconstruction de la société humaine, une réorganisation politique et cellulaire de l’humanité.
Ce sont les femmes qui ont, dans la majorité des cas, pris un pouvoir qui donne lieu à des micro-idéologies dont découlent des micro-dictatures.
Le présent album débute, en 2042, avec un nouveau personnage qui se fait tatouer les visages de Staline et d’Hitler de part et d’autre de son crâne rasé.
Vu de la Lune, une nébuleuse bleue s’étoffe alors que trois sous-marins et un site nucléaires explosent suite aux dérèglements numériques. Devant cette accumulation de catastrophes, de nombreuses demandes émergent pour demander le retour de Kameron Obb, le seul capable de contrôler le numérique, le seul qui détient les clés pour rétablir la situation.
Mais, pour l’heure, il est prisonnier de Nataly-Ann, dans un immeuble au large de Barcelone. Il peut, toutefois, communiquer avec sa fille grâce à une tache bleue, une couleur qui envahit peu à peu le visage de Kameron. Or, Nataly-Ann est confrontée à une sorte de coup d’État. Irina survient, la menace avec une arme et la force à se jeter du haut de l’immeuble…
L’auteur met en scène une population qui se gargarise de concepts politiques tels que Néo-marxistes, Néo-tsaristes, Néo-obscurantistes, Néo-féministes, de mouvances fascistes. Il insiste sur la nécessité pour les peuples de mémoriser leur histoire, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Il martèle qu’il ne faut pas laisser l’humanité vivre, progresser sans conserver le souvenir de grands événements, de courants remarquables et de leurs parcours.
Obb, qui doit, par ses capacités, sauver le monde est moqué par son créateur. Celui-ci veut désacraliser son super-héros en l’affublant d’une improbable fourrure synthétique rose avec des taches vertes et des oreilles, sur la capuche, qui ressemblent à celles de lapin.
Le troisième album, qui présente le milieu de l’histoire, est traditionnellement celui où l’intrigue s’installe avant de basculer vers d’autres péripéties.
Le graphisme est plus une succession de tableaux que des planches classiques de bande dessinée. Dans un entretien, Bilal raconte qu’il a dû terminer l’album dans des conditions physiques particulières suite à une opération. Celle-ci, le temps de la convalescence, a modifié sa façon de travailler.
Un album qui ne dépare pas l’œuvre du créateur, toujours aussi riche en éléments d’intrigues et en visuels uniques.
serge perraud
Enki Bilal (scénario, dessin et couleurs), Bug Livre 3, Casterman, mars 2022, 80 p. – 18, 00 €.