L’œuvre de Claire Tabouret colmate moins les brèches qu’elle ne les ouvre. L’imminence d’une catastrophe est sous-jacente. L’exil rôde. Chaque toile fait naviguer au dessus de pays aussi lointains que proches. La vie béante est là livrée aux eaux sans retour en des pans de solitude et des carrés de lune. Surgit une clarté obscure, âpre. Elle se situe sous une ligne de flottaison. Mais c’est aussi une ligne de passage incluant une coupure. Tout est sur le point de muter dans un voyage certes sans retour mais qui ouvre à un autre espace et un autre sens.
Claire Tabouret laisse perdurer un paradis et un enfer, le non-dit de l’existence, son silence et ses craquements. Elle montre au-delà du oui et du non, le dorénavant. Soumis à une étrange torsion, le regard butte puis s’approprie des « paysages » inconnus à la lumière caverneuse et rutilante. Reste une perte de repères qui oblige à regarder du côté de l’autre ou en-dedans. Par effet de réel émergent des paysages intérieurs, le bruit des courants, les formes qui se détruisent ou qu’on laisse à l’abandon. Des lignes se perdent à l’horizon.
Un tel travail creuse nos illusions, passe du coq à l’âme, fait danser l’impalpable. Dans des toiles profondes et sombres, du moindre l’artiste crée un départ vers un élargissement cosmique. Le monde y semble en tension mais aussi comme un pont suspendu au-dessus de l’eau ou du vide. L’artise remet en jeu la nature qu’on croît immobile et muette. Elle prolonge sa réalité sous des rembrunissements et des lumières dans la végétation ou des constructions humaines.
Un calme perdure ou s’efface au-delà de l’illusion de notre temporalité et sous le ravissement des oxydations nocturnes. Puissantes et assourdies, les œuvres étendent une ombre paradoxale. Même la nuit est soumise à une étrange clarté. En de telles narrations la défaillance est implicitement programmée. C’est pour l’artiste la manière de remettre en jeu l’angoisse et la jouissance.
Entretien
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie d’aller à l’atelier.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les réalise un à un. Je voulais être peintre, habiter à Paris, et profiter de tout cela.
A quoi avez-vous renoncé ?
À rien.
D’où venez-vous ?
J’habite à Paris depuis plus de dix ans et je m’y sens bien, c’est devenu là d’où je viens.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Ce n’est pas une pratique très courante en France aujourd’hui, la dot…
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Je n’ai rien plaqué d’important. Mon travail m’a surtout permis de vivre beaucoup de choses fantastiques, d’avoir accès à des mondes très variés, de faire des belles rencontres et des voyages.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le musée d’Orsay.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
J’ai su très jeune que je voulais être peintre. Les peintres sont une famille à part il me semble, ils ont souvent un travail d’atelier, un rapport à la matière, au faire, une pratique quotidienne.
Peindre est pour moi une manière de presser l’image, l’essorer, essayer d’en extraire une lumière interne, un indice ténu. Je m’intéresse aux personnages et situations qui ne rentrent pas dans des cases. À la difficulté à dire d’où l’on vient, ce que l’on est, entre un pays et un autre, entre féminin et masculin, entre chien et loup… Ma peinture donne à voir ces moments de bascule, d’ambiguïté. Comme un funambule sur son fil, j’essaye de trouver un équilibre délicat, une position à réajuster sans cesse.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Les nymphéas de Monet
Où travaillez vous et comment ?
En ce moment dans un grand atelier, ce qui me permet de travailler sur plusieurs tableaux en même temps.
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
La radio. J’aime ne pas choisir l’ordre des chansons, et que ce soit un flux sans début ni fin.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Austerlitz de W.G Sebald. Ce n’est pas forcément un livre que je relis souvent, car sa lecture est une épreuve, mais en tout cas il fait partie de ces livres qui ont comptés.
Quel film vous fait pleurer ?
Les premières minutes du Fleuve Sauvage d’Elia Kazan.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je me mets tous les matins face à un miroir pour réaliser un autoportrait à l’encre de chine. J’y vois une énigme, tous les jours différente, et c’est justement cela qui me donne envie de poursuivre cette série de dessins.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Dominique Baqué
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Tokyo.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Mon voisin d’atelier, Lionel Sabatté, qui est concrètement le plus proche, et avec qui j’échange beaucoup.
Je m’intéresse de plus en plus au portrait et au regard, Manet est pour moi une source sans fin de plaisir et d’interrogations. J’aime énormément le travail de Marlène Dumas, elle fait des peintures magnifiques, et réactive avec intelligence la question de la peinture politique, de la peinture d’histoire au 21ème siècle. Tacita Dean aborde toutes les thématiques qui me sont chères, le passage du temps, la mémoire des lieux, les processus d’apparition et de disparition…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
De quoi acheter un atelier.
Que défendez-vous ?
Je défends mon temps et ma liberté, qui me permettent de peindre tous les jours.
Je me défends contre tout ce qui pourrait se mettre entre moi et mon travail.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ” ? Cette phrase ne m’inspire pas…
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Voilà.
Au moment où se termine son exposition chez AgnèsB (Paris) Claire Tabouret va présenter plusieurs expositions dont deux personnelles :
–“Sous les eaux” dans le cadre de « Voyons voir / art et territoire, Marseille-Provence 2013 », FRAC-PACA du 31 mai au 30 septembre 2013,
– « Claire Tabouret, exposition personnelle », Espace d’Art Contemporain les Roches. Le Chambon-sur-Lignon du 7 juillet au 31 Aout 2013.
Présentation et entretien avec l’artiste par jean-paul gavard perret pour lelitteraire.com en mai 2013
“Peindre est pour moi une manière de presser l’image, l’essorer, en extraire une lumière interne…“
La lumière interne, Claire, c’est ça l’Amour …
Elle ne vous inspire pas , à croire que vous n’en voulez pas…
Au plaisir de partager
…ah !! après si ça se met entre vous et votre travaille, je peux comprendre …
travail