Catherine Bolle et le livre de création
Pour ses travaux dans le domaine du livre de création, Catherine Bolle insére ses propres textes ou bribes de textes dans son travail plastique. Le plus souvent, elle le met en « repons » des auteurs qui la touchent. Des « classiques » tels que Bachelard, Roger Caillois, C.F. Ramuz, Catherine Pozzi. Mais aussi et surtout des poètes du temps : Clara Blatter, Israel Eliraz, Mathieu Messagier, Jean Mambrino, Henri Meschonnic, Salah Stétié, J-L Giovannoni. Pour ses réalisations, elle travaille avec les plus grands ateliers de gravure : Thiery Bouchard, Raymond Meyer ou encore L’Imprimerie Nationale de Paris par exemple.
L’artiste dit ainsi au poète comme au lecteur : « ne refuse pas la présence à ce que tu ne vois pas ». Elle rend présent à cette « absence», à cette idée impensable d’une écriture peinte (pensée par la main). Elle invente ce « drame » (Novarina) qui libère les mots en les jetant dans un espace autre que mental. La parole est visitée. Néanmoins, entre les mots et les images demeure un seul centre. L’image chez Catherine Bolle est intérieure à la parole et au-delà des mots. Elle les porte, les apporte. La pensée vient se renouer à l’espace. Il y a donc un passage à l’intérieur du texte. Il faut y entrer de l’extérieur pas l’extérieur, en sortir de l’intérieur par l’intérieur.
Catherine Bolle crée ce que les mots – inconsciemment ou non – dissimulent dans leur invalidité. Il n’existe pas de travail plus perçant, plus actif. Plus intérieur aussi. Il arrive même parfois que les images de l’artiste soit plus profondes que la chair peu profonde de certains mots (mais on taira leurs auteurs).
Les images deviennent le langage qui creuse le poème. Qui le déséquilibre au besoin. Qui l’éclaircit et l’amène jusqu’à une vision autre que celle de l’esprit et de la vue. Le livre devient un lieu unique. L’image fouette l’air de la chambre des mots. On peut voir à travers. On peut leur demander qu’ils soient. L’œil les replace dans leur musique de disparition. La lumière des images est le cri du premier comme du dernier instant du poème. Multiplié et creusé. Ouvert. Ouvert et poussé plus loin que lui-même.
L’artiste invente le théâtre inédit de la traversée du texte par l’image. Elle dessine l’inquiétude rythmique des mots. Leur matière apparaît. Le visible devient un renouvellement du langage du poème. Par l’image nous l’entendons respirer. Mais il s’agit aussi d’inverser la vue. Et montrer là où les mots font défaut. L’espace les pousse. La peinture n’est pas à l’extérieur des mots : elle devient la génitrice du texte qui fut son géniteur. Le livre est donc l’inverse d’un tombeau. Il est vivant par ce passage à l’acte.
jean-paul gavard-perret
Catherine Bolle, Points perdus cardinaux, L a Baconnière, 2008, 135 p. — 31,00 €.