Gwenaël Bulteau, La République des faibles

Un polar his­to­rique impres­sion­nant de maîtrise 

En cette fin de XIXe siècle, la Répu­blique est secouée par de nom­breux cou­rants très viru­lents. L’approche d’élections mobi­lise les pas­sions. Le natio­na­lisme se déchaîne. L’antisémitisme, nourri par l’affaire Drey­fus, divise les popu­la­tions et attise les haines. Des hommes s’élèvent contre l’injustice et tentent de trou­ver des solu­tions pour mini­mi­ser la misère des petites gens.
Le roman­cier ins­talle son intrigue dans un quar­tier popu­laire du vieux Lyon, tra­di­tion­nel­le­ment ouvrier, parmi le peuple où règne la pré­ca­rité, où sur­vivre est l’affaire de tous les ins­tants, où la vio­lence est quotidienne.

Pierre Demange est chif­fon­nier à Lyon. En ce pre­mier jour de 1898, il part au petit matin pour la décharge de la Croix-Rousse faire pro­vi­sions des vieux papiers qu’il revend. Avec son cro­chet, il repère une cou­ver­ture dans laquelle il découvre un corps déca­pité, mutilé. C’est à l’autopsie que le légiste découvre que le corps du gar­çon porte des traces d’atteinte à la pudeur, qu’il est mort par empoi­son­ne­ment à l’éther. Il plane encore l’ombre de Joseph Vacher, ce vaga­bond qui vio­lait gar­çons et filles sur son che­min, avant de les tuer et de les muti­ler.
La tour­née des com­mis­sa­riats de quar­tier donne quelques noms de satyres. En repre­nant les dos­siers des enfants dis­pa­rus, le com­mis­saire Sou­bielle trouve celui de Mau­rice Allègre qui porte sur le dos les mêmes traces d’une vari­celle cara­bi­née. Sous les ordres de Sou­bielle, trois poli­ciers vont écu­mer les milieux popu­laires d’un Lyon en proie à de fortes ten­sions. Ils vont explo­rer dif­fé­rentes pistes, inter­ro­ger ceux qui sont fichés. Mais quand un enquê­teur est retrouvé assassiné…

Avec une maî­trise remar­quable, Gwe­naël Bul­teau mène une intrigue poli­cière qui a pour point de départ des dis­pa­ri­tions et des meurtres d’enfants. Elle croise dif­fé­rentes pistes, prend des direc­tions diverses et sin­gu­lières. Il décrit avec jus­tesse, sans tom­ber dans le pathos ni la com­mi­sé­ra­tion hypo­crite, les inéga­li­tés, les injus­tices, l’absence de droits des femmes qui ne peuvent, dans la plu­part des cas, que subir.
Le tra­vail his­to­rique, docu­men­taire sur l’environnement de l’époque est énorme, mais ne donne pas l’impression d’une leçon d’histoire. Tous les élé­ments s’emboîtent dans le récit, sans l’alourdir ou cas­ser le rythme.

Ce que ce roman décrit et met en lumière est ter­rible. C’est la mal­trai­tance des faibles, la faillite d’une Répu­blique qui s’était van­tée de les pro­té­ger. Mais cette situa­tion a-t-elle bien évo­lué quand on comp­ta­bi­lise aujourd’hui le nombre des enfants bat­tus, des fémi­ni­cides ?
Les per­son­nages, qu’ils soient ouvriers ou bour­geois, sont cam­pés avec soin, sans dicho­to­mie. Ils ont des com­por­te­ments tout en nuances, oscil­lant entre le bien et le mal, entre hon­nê­teté et délinquance.

Avec La Répu­blique des faibles, Gwe­naël Bul­teau livre un roman his­to­rique d’une belle noir­ceur, mais si riche qu’on ne peut arrê­ter sa lecture.

serge per­raud

Gwe­naël Bul­teau, La Répu­blique des faibles, Édi­tions 10/18 n° 5739, coll. “Polar”, mars 2022, 336 p. — 8,50 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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