Thomas James Shaper, ébranlé par son succès de peintre underground à New York, se réfugie en Californie où il rencontre Johnny Cash, la légende de la country. Celui-ci est à la recherche du Jukebox Motel, le seul lieu où il trouvera la sérénité.
Thomas se lance dans la recherche de cet endroit mythique. Il finit par le découvrir mais va vivre des moments difficiles, piégé dans une spirale destructrice.
Alors qu’il sort d’un cauchemar où il revoit tous ceux qui l’ont entouré pour le meilleur et pour le pire, où il revit le suicide de son père, Thomas entend les pleurs d’un bébé. Joan, la mère de sa petite fille, a quitté New York pour quelques temps. Elle est en attente d’un nouveau poste, abandonnant ses rêves de devenir une vedette de la chanson.
Thomas lui montre ses nouveaux tableaux pour satisfaire les exigences de Big Man, l’homme qui l’a rendu riche sous le nom de Robert Fury. Mais, Thomas reste déboussolé. C’est Ted, son voisin qui l’engage à rencontrer Wall Ramage, le propriétaire du terrain sur lequel est construit le Jukebox Motel que Thomas a acheté. Celui-ci lui révèle la nature du bâtiment, qu’il en est le gardien et que tous ceux qui ont voulu le posséder ont mal fini…
Autour de ce bâtiment aux étranges pouvoirs, le scénariste anime une belle galerie de personnages engagés dans une ronde dont ils ne gèrent ni la cadence, ni la durée. Pèse sur eux une sorte de malédiction qui leur impose une voie. Avec le pseudonyme que s’est vu imposer le héros, l’auteur aborde les conséquences liées à cette autre identité, une perte de la personnalité.
Il interroge sur cette étrangeté qui veut que de nombreux artistes, en particulier chez les peintres, voient leur notoriété s’emballer après leur mort. C’est aussi la nécessité (sic !) de créer une légende, situation que les people multiplient à l’envi en se répandant dans les médias pour faire admettre une personnalité fictive, pour expliciter une parcours fantasmé.
Le graphisme est assuré par Marie Duvoisin qui choisit de privilégier les personnages, laissant toutefois une belle place aux cadres et décors. Elle met en scène les cinq principaux protagonistes du récit avec réalisme, proposant nombre de portraits, de plans américains, de points de vues rapprochés pour faire exprimer sentiments et émotions.
Mais, c’est avec les couleurs qu’elle donne toute la densité des scènes dans une mise en page de facture classique.
Un album qui fait la part belle au statut difficile des créateurs en bute aux lois d’un marché insatiable et à l’aura de certains lieux propices pour y trouver la paix.
serge perraud
Tom Graffin (scénario) & Marie Duvoisin (dessins et couleurs), Jukebox Motel — t.02 : Vies et morts de Robert Fury, Bamboo, label “Grand Angle”, avril 2022, 56 p. – 15,90 €.